Complètement cramé ! de Gilles Legardinier

Pour la lecture commune de septembre 2016, j’ai proposé un roman qui sort de l’ordinaire chez moi : un roman français feel good. Ma maman s’est remise à la lecture en zieutant mon blog, je ne pouvais que lui rendre la pareille. Alors quand elle a commencé à me parler sans arrêt de cet auteur qui la faisait sourire et dévorer des bouquins en une nuit, je n’ai pu être que curieuse. Bref, aujourd’hui, je vais vous parler de Gilles Legardinier et de son roman Complètement cramé !

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Je ne suis vraiment, mais alors vraiment pas fan de cette couverture vert fluo avec un chat bizarre dessus. Il a vraiment fallu que je me répète l’adage « on ne juge pas un livre à sa couverture » pour entrer dans cette lecture. Mais je ne regrette pas ! Après l’épreuve qu’a été Vingt mille lieues sous les mers pour moi, je n’ai fait que deux bouchées de ce livre. Et ça fait sacrément du bien.

Andrew Blake déprime. Veuf, sa fille au loin, des asticoteurs au boulot… il est lassé. Il lâche tout et quitte Londres pour se faire embaucher comme majordome en France. Un petit domaine où règne sa patronne (une dame touchante et mystérieuse), accompagnée par la cuisinière pleine de vie Odile, le régisseur un peu naïf Philippe, et la jeune et amoureuse Manon, femme de ménage. On pourrait penser que tout roule au domaine, mais entre les secrets, les soucis financiers et personnels, les petites piques, il y a de quoi faire. Notre pétillant personnage pensait prendre sa retraite d’une vie de soucis, mais il se rendra vite compte qu’on a besoin de lui au Domaine de Beauvillier.

Andrew est un personnage très touchant qui ne cesse de nous surprendre. Loyal, généreux, altruiste, on aimerait tous l’avoir comme grand-père. Malgré les problèmes de chacun, il sait qu’il y a des solutions pour tout, et il se rend surtout compte que ce n’est pas dans la solitude qu’on trouve des réponses.

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Avec des personnages secondaires très savoureux, des péripéties nombreuses et des dialogues à savourer, c’est vraiment un livre agréable. Mais c’est aussi un livre léger, un livre « téléfilm du dimanche avec happy-end ». Ne vous attendez pas non plus à autre chose. L’écriture est de qualité, l’auteur prend le temps de bien développer ses personnages. Le seul hic que j’ai eu, c’est avec un ressort de l’intrigue : Andrew est un peu frileux à l’idée d’annoncer une certaine vérité à sa patronne, il y a une petite tension narrative autour de cela… que je ne comprenais absolument pas ! Pour moi, il n’y avait aucune raison pour en faire tant à ce propos. Toutefois, je pardonne assez facilement ce petit défaut pour toutes les fois où j’ai ri de bon cœur à la lecture de ces pages.

J’ai passé un excellent moment et je n’hésiterai plus une seconde à relire cet auteur dès que j’ai un coup de barre ou une panne de lecture. Je vous conseille d’essayer aussi !

Vous pouvez également aller lire les avis de Virginy et de L’Aléthiomètre.

Gilles Legardinier, Complètement cramé !, aux éditions Pocket, 7€80.

Palafox, d’Eric Chevillard

Dans la série « Je lis des romans ludiques », nous avions déjà Les Grandes Blondes d’Echenoz et Be-Bop de Gailly, ces deux auteurs jouant avec l’écriture. Aujourd’hui, je vais mettre la barre plus haute dans l’amusement littéraire avec Palafox d’Eric Chevillard. Amis lecteurs qui appréciaient la cohérence, la logique voire la rectitude, passez votre chemin. Avec ce roman, il va falloir développer votre grain de folie !

Palafox éclot dans la famille Buffoon qui tout le long de sa vie aura à coeur de lePalafox soigner, de l’élever, de l’apprivoiser, avec plus ou moins de réussite et de plaisir. Mais la seule certitude que l’on a de Palafox c’est sa nature animale. Ils nous est impossible d’en dire plus. Au début, on aurait pu penser que c’était un poussin mais très vite on hésite : est-ce un insecte ? un serpent ? un fauve ? un oiseau de basse-cour ou quelque chose de plus exotique ? et pourquoi pas un grand requin bleu ? ou un rongeur ? Avec ses griffes, ses pattes poilues, palmés, ses serres, ses nageoires, ses ailes, on ne sait pas trop que choisir. Et que dire de son pelage fauve, de ses écailles miroitantes, de ses plumes colorées, sa peau cuirassée ? Palafox est l’être de l’hésitation, on ne fait que douter tout le long du livre. Notre perception de cet animal lunatique, puissant et malin, proche de l’homme que quand ça l’arrange, évolue au fur et à mesure de ses péripéties : une fois apprivoisée et câlin, l’autre fugueur et carnassier, on hésite entre la curiosité et la pure révulsion.

L’auteur de ce surprenant récit est Eric Chevillard, que vous connaissez peut-être par son blog, petites pépites de littérature quotidiennes. Palafox est son troisième roman, publié en 1990, qu’a suivi une production littéraire très riche, et on a pu voir à travers elle des procédés narratifs qui sortent de l’ordinaire. Personnellement, je l’ignore, puisque Palafox est à ce jour le seul livre de Chevillard que j’ai pu lire (plus pour très longtemps je pense !), mais côté dépassement des règles d’écriture habituelles et imagination débridée, ce roman se situe pas mal ! Malgré les incertitudes constantes qui règnent sur le statut de l’animal, ce livre contient une véritable histoire, une intrigue. Une intrigue qui sort des sentiers battus mais qui se tient. Les personnages humains possèdent chacun une vraie personnalité, bien que peu décrite : ce n’est pas la peine, ça ne constitue pas le coeur de l’histoire. Ce livre a beaucoup de points forts mais c’est, je crois, son écriture même qui le rendent « spéciale ».
Chevillard donne l’impression d’une écriture qui coule d’elle-même, qui est facile et naturelle. Sans oublier l’auteur qui se manifeste souvent sans prendre toute la place. Les mots explorent en jouant, en se faisant poésie, les différentes facettes de Palafox, sa nature, son caractère, ses frasques. On suit son parcours, de sa naissance à sa mort, on écoute les différentes hypothèses des scientifiques essayant d’établir à quelle branche du règne animal il appartient (d’ailleurs il se peut que ce soit « elle »). C’est un peu une enquête, c’est un peu un jeu de rôle, c’est un peu un numéro de cirque ou un film d’aventures. On ne peut pas vraiment définir ce que c’est, c’est hybride, à deux, trois, cinq, quinze têtes. Cette aventure polymorphe nous ballade entre petites anecdotes, projets de grande envergure et rebondissements en tout genre à travers une écriture acérée, méchante, fantaisiste, drôle et virtuose. Chevillard ne mâche pas ses mots mais les manie avec drôlerie et critique. Et on arrive à la fin de ces presque deux cent pages un peu essoufflé, emporté par l’envol, la course, la nage survolté de Palafox qui nous a balladé, embarqué tout le long du livre.