Regardez la neige qui tombe, de Roger Grenier

Voilà, c’est émouvant, je publie ma dernière chronique de la série Roger Grenier. Petit pincement au cœur car ses livres m’ont suivie (poursuivie même !) ces dernières semaines et j’ai fait quelques belles découvertes grâce à lui. Bien sûr, cela ne veut pas dire que je ne lirai plus rien de lui à l’avenir, bien au contraire, j’ai même repéré d’autres œuvres de sa plume pour plus tard ! Mais c’est la fin d’un voyage initiatique que je n’ai pas choisi mais que j’ai tout de même apprécié. Aujourd’hui, je vais donc vous parlez d’une de ses biographies, car, oui, Grenier aime bien écrire sur les autres, amis intimes ou personnes admirées. On peut citer entre autres Camus, Pia ou Fitzgerald. Ici, j’ai choisi Regardez la neige qui tombe. Impressions de Tchékhov.

Vous pensez bien qu’avec un titre pareil on va parler de ce célèbre auteur russe, nouvelliste et dramaturge. Moi qui n’avait lu aucun livre de cet écrivain, je me suis précipitée à la médiathèque en prendre quelques uns. Malheureusement, hélas, je ne sais pas trop comment cela est arrivé, mais impossible de lire Tchékhov, je n’arrive à entrer dans aucun de ses textes, je n’arrive pas à prendre du plaisir à le lire. Pas qu’il soit mauvais auteur – son talent n’est plus à démontrer – mais son style, cet univers qui l’a crée, c’est incompatible avec moi. C’est une chose qui m’arrive parfois, la dernière fois c’était avec Balzac. Je n’y peux rien, j’aurais beau me forcer, je ne comprendrais rien à ce que je lis.

Je n’étais donc pas très motivée à lire Grenier parlant de Tchékhov qu’il adore, c’est pour ça que j’ai fait traîner cette lecture pendant deux mois. Mais j’ai fini par y mettre mon nez. Bon je dois vous l’avouer tout de suite, si vous avez déjà lu Tchékhov, que vous connaissez un peu son écriture, c’est un avantage car ainsi vous saisirez mieux les références que moi ! Toutefois, ce n’est pas une obligation.

A travers de courts chapitres, Roger Grenier nous évoque le personnage et son œuvre : ses amours, les adaptations pas toujours très réussies de ses pièces au théâtre, son voyage étrange à Sakhaline, son mariage distant avec une comédienne, les propos des critiques à son sujet, son rapport aux animaux et surtout aux chiens, son enfance à Taganrog, sa tuberculose, mais aussi son style. L’auteur nous explique comment Tchékhov se sert des gens et des situations qui l’entourent pour en faire des personnages et des nouvelles. C’est ici le ressenti d’un lecteur attentif, et je dois avouer que c’est très agréable à lire.

On se laisse promener de citation en citation. J’ai été plusieurs fois perdue entre les multiples personnes qui font l’entourage de Tchékhov, je n’ai pas toujours pas compris les allusions aux œuvres, ce qui a fait que je me suis ennuyée quelques pages. Il y a parfois certaines longueurs, l’écrivain veut sûrement s’étendre sur des choses qui lui sont chères mais je n’ai pas eu les mêmes centres d’intérêt que lui ou je ne me suis pas autant laissé attendrir.

On comprend malgré cela que Tchékhov soit un « grand » auteur de par la quantité de ses œuvres (des milliers de nouvelles!) mais aussi et surtout de par une écriture personnelle qui sort des chantiers battus, sait nous transmettre un sentiment de mélancolie en quelques mots et créer un univers russe tout aussi facilement.

J’avais déjà eu une mauvaise surprise avec les biographies de Grenier : j’avais stoppé assez rapidement ma lecture de Trois heures du matin : Fitzgerald qui m’avait ennuyé. Avec Regardez la neige qui tombe, je regrette de ne pas avoir pu m’intéresser plus à l’oeuvre de Tchékhov car malgré quelques points négatifs, cette sorte de biographie reste une livre agréable, à découvrir.

Roger Grenier, Regardez la neige qui tombe, folio (2947), 7€70.

Les embuscades, de Roger Grenier

La rencontre avec Roger Grenier est imminente et vous y êtes tous conviés. Pour cela, rendez-vous le 18 octobre dans notre magnifique Ville Rose, et plus précisément à la librairie Etudes de l’université Toulouse-II Le Mirail (à 5 minutes du métro Mirail). Rendez-vous est donné à 14h30. Cette rencontre est organisée par mon master « métiers de l’écriture et de la création littéraire », M1 et M2 se serrant les coudes pour faire face à un timing difficile. A la fin de nos petites questions, vous pourrez poser les vôtres à Roger Grenier, puis faire dédicacer vos livres – ses œuvres seront en vente sur place. Je vous attends nombreux, et faites-moi signe si vous passez me voir, qu’on échange quelques mots 😉

Bref, tout ça pour introduire encore une chronique de notre cher Grenier. Cette fois, je me suis attaquée à un roman (qui a quand même de sacrées allures d’autobiographie par endroit…) : Les Embuscades.

 

On y rencontre Pierre, qui tient un magasin de photographie près des Pyrennées. Il fait la connaissance de Constance, une jeune fille hypnotique et pleine de vie qu’il lui demande de l’aider à passer en Espagne : en effet, nous sommes sous l’Occupation et les Allemands envahissent inexorablement la France.

La vie passe, les événements aussi. On retrouve Pierre à Paris, il a pour projet d’aider à la prise de l’Hôtel de Ville, et, surprise !, il y retrouve Constance qui ne peut s’empêcher d’être au cœur des événements. La Libération, la débâcle des nazis, un Paris en fin de guerre… Leurs chemins se séparent encore : Pierre qui a été gagné par l’amour du photo-reportage devient photographe de guerre. On l’envoie alors en Grèce où a lieu une violente guerre civile, jamais deux sans trois, c’est la dernière des embuscades : il recroise encore la route de cette jolie Constance.

L’Hôtel de ville

Constance, on lui court après sans le vouloir, elle souhaite beaucoup de choses, elle a beaucoup d’hommes dans sa vie mais rien ne lui convient. Trop exigeante, elle a besoin d’être là où les choses se passent, quitte à être sans réelles attaches profondes. Pierre et elle vivent l’Histoire et les grands événements de ce siècle marqué par les conflits, ils sont acteurs de ce qui pour nous est notre passé : en ont-ils réellement conscience ? On pourrait le penser. Réfléchir à l’avenir semble dans ce livre presque impossible, on ne peut être que dans le présent, vivant, ou celui figé par la pellicule de Pierre.

Comme bon nombre de ses livres, Roger Grenier a un rapport très particulier envers ses personnages, il les décrit avec force de détails, on croit les connaître, mais ils restent insaisissables, énigmatiques, ils nous échappent. Ils sont teintés d’une certaine mélancolie qui est toujours présente chez cette auteur. Quand la Grande Histoire module les petites, on ne sait pas laquelle des deux prend le pas sur l’autre.

J’ai aimé vivre ce passage clandestin en Espagne, j’ai adoré voir et sentir la Libération à l’œuvre et j’ai découvert une partie de l’histoire grecque que j’ignorais complètement. Cette figure de Constance m’a intriguée jusqu’au bout, encore maintenant je ne suis pas sûre de l’avoir bien comprise, elle est si particulière. Et ce n’est pas un défaut d’écriture ou un manque de réalisme et de profondeur psychologiques qui la rendent ainsi, non, elle a réellement été travaillée pour être si inaccessible, un exercice plus difficile qu’il n’en paraît.

J’ai, encore une fois, passé un bon moment de lecture avec Roger Grenier, et à force de parcourir son œuvre, j’ai remarqué quelques « radotages », quelques sujets sensibles ou aimés qui me font comprendre encore un peu plus ce grand auteur.

Roger Grenier, Les Embuscades, folio (1184), 6€.

Les Larmes d’Ulysse, de Roger Grenier

Encore un Grenier, ce ne sera pas le dernier sur le blog, mais promis juré, ça s’arrête bientôt. Pour préparer la rencontre avec cet auteur (en octobre, et vous êtes les bienvenus!), chaque membre de mon master travaille sur un thème de son œuvre. J’ai atterri dans le groupe « animaux » (mais aussi  » rapport à l’image « , c’est une autre histoire), qu’on devrait rebaptiser « chien », car c’est un peu près le seul être vivant non humain qui peuple les ouvrages de Roger Grenier. J’ai donc lu (d’une traite!) Les larmes d’Ulysse, Ulysse étant le nom du braque qui a tant compté pour l’auteur.

 les larmes d'ulysse

Ce livre nous parle de chiens et d’écrivains, de chiens dans la littérature. Des petits chapitres se succèdent semant des anecdotes anciennes ou contemporaines de Grenier, des faits historiques ou mythologiques, des bribes de romans et d’autres œuvres littéraires. Le chien est aimé ou mal-aimé, ridicule ou reconnu pour sa vaillance, mais on s’accorde toujours sur sa fidélité et sur sa nature si proche de l’homme.

 

Grenier est un « ami des chiens » qui a presque réussi à me convaincre, moi, « l’amie des chats » que le canidé avait des mérites. L’auteur en filigrane évoque la coïncidence troublante qui fait ressembler le maître à son animal, mais il nous parle plus tristement de cette injustice de la nature qui fait qu’une vie de chien, en terme de longévité, n’est pas en adéquation avec une vie d’homme.

 

Avec l’auteur, j’ai voyagé chez Chaplin, j’ai rencontré Romain Gary rue du Bac, j’ai croisé des chiens sur les champs de guerre napoléonien et j’ai fréquenté les plus grands écrivains (Baudelaire, Flaubert…) qui appelait cet animal dans leurs écrits. C’est incroyable tout ce qu’on a pu dire sur les chiens en général, mais surtout sur nos chiens, nos compagnons de vie, nos acolytes dans la joie ou le désespoir, nos amis de toujours ou d’un soir.

 

C’est une œuvre très surprenante, qu’il faut au moins avoir dans les mains une fois, pour le feuilleter et se laisser aller à ces divagations canines. Je regrette de ne pas connaître toutes ces personnes, toutes ces références qui bondissent d’une ligne à l’autre, une foisonnance culturelle qui m’a un peu perdu. Les chapitres essaient de traiter plus ou moins d’un sujet en particulier mais rarement y arrive, la plume de Grenier l’emmène souvent plus loin.

 

« Et si la littérature était un animal qu’on traîne à ses côtés, nuit et jour, un animal familier et exigeant, qui ne vous laisse jamais en paix, qu’il faut aimer, nourrir, sortir ? Qu’on aime et qu’on déteste. Qui vous donne le chagrin de mourir avant vous, la vie d’un livre dure si peu, de nos jours. »

 

Roger Grenier, Les larmes d’Ulysse, aux éditions Gallimard, collection L’un et l’autre, 13€95.

Le point du lundi #5

On se retrouve pour le rendez-vous hebdomadaire du blog. J’espère que vous avez bien supportez notre entrée en octobre et donc cette inexorable descente en enfer qu’est l’arrivée de l’hiver. Tout de suite, on commence par le In My Mailbox !

In my mailbox

Que des emprunts encore une fois, car je suis fauchée fauchée et que, bossant à la médiathèque, je ne peux pas m’empêcher d’emprunter tout ce que je vois. Voici ma récolte de la semaine dernière :

  • Les Embuscades + Dans le secret d’une photo + Trois heures du matin : Fitzgerald de Roger Grenier, pour préparer ma rencontre avec ce grand monsieur !
  • Marie Stuart de Stefan Zweig car ça fait longtemps que j’avais envie de lire une des biographies écrites par cet auteur.
  • Éloge des bibliothèques de Baptiste-Marrey, pour tordre le cou aux idées reçues.
  • Le plus drôles de McSweeney’s, je n’ai absolument aucune idée de ce que c’est, mais visiblement ça a l’air drôle.
  • Journal d’Amérique de Bertolt Brecht car ça fait trop longtemps que je repousse ma lecture de cet auteur.
  • Et pour finir Mangez-le si vous voulez, que je voulais lire depuis sa sortir (mais ciel ! que la couverture est moche !)

Roger Grenier

 

 

Voilà, passons maintenant au traditionnel « C’est lundi, que lisez-vous ? »

La semaine dernière, j’ai lu Dans le secret d’une photo et Les Larmes d’Ulysse de Roger Grenier, ainsi que Chroniques d’un pompier volontaire de Patrice Romain. J’ai abandonné par manque d’intérêt Le Syndrome Nerval de Caroline Guntmann et Trois heures du matin : Fitzgerald de Grenier.

En ce moment, je lis Journal d’Hélène Berr. Très beau.

Puis, je lirais sûrement Les Embuscades, de Grenier toujours, suivi vraisemblablement par La femme de l’Allemand par Marie Sizun.

A bientôt pour de nouvelles chroniques !

Dans le secret d’une photo, de Roger Grenier

Dès son enfance, Roger Grenier a trimbalé un appareil photo avec lui. Plus qu’un engrangeur à souvenirs, il est le symbole de toute une vie, mais c’est aussi un art que l’auteur apprécie. Dans le secret d’une photo est un hommage à cette petite boîte d’instantanés qui permet de retracer une vie ou l’histoire d’un pays. L’écrivain évoque tous ces Leica et ses Agfa qu’il a croisé tout au long du XIXe siècle, rappelant ainsi des bribes de son propre passé.

 

Un livre autobiographique mais qui parle plus de la photographie que de l’auteur lui-même, voilà un bien étrange ouvrage. Pourtant, ces pérégrinations dans la vie de Grenier ne sont pas dénouées d’intérêt : j’ai pu ainsi découvrir la longue carrière de cet homme à la fois pion, résistant ou intervieweur, sa nostalgie quand il a du abandonné la photo le temps de son travail de journaliste. Mine de rien, on traverse une guerre mondiale, on visite l’autre par de vieilles photos, on est pendant quelques pages soixante-huitard avant d’aller voyager en Italie ou de devenir reporter.

L’écriture est « sans chichi » : Grenier n’est pas là pour nous impressionner ou pour étaler sa science, juste pour partager avec nous une passion de l’image et nous dévoiler le secret amour d’inconnus pour la pellicule. De laboratoire de développement en studios renommés, c’est surtout dans l’intimité d’une photo que l’on voyage, notamment au côté de Brassaï, mais Nadar, Doisneau ou Cartier-Bresson ne sont pas en reste.

Qu’elle soit amateur, artistique, professionnelle, journalistique, la photographie n’en a pas fini d’émouvoir, et même si ce livre ne constitue pas une ode à l’argentique, il y a un certain charme désuet avec les vieux appareils, un charme que cette œuvre nous présente si joliment qu’on en regretterait presque nos numériques et leurs capacités mémoire de centaines de photos.

Un ouvrage bien agréable, qui se laisse lire sans y penser, je vous le conseille, que vous soyez ou non amoureux de la photographie.

Roger Grenier, Dans le secret d’une photo, Gallimard, collection L’un et l’autre, 17€50.

Le Palais d’Hiver, de Roger Grenier

Je reviens encore vers vous avec du Roger Grenier après une longue pause bien méritée. Aujourd’hui, je vais vous parler d’un de ces romans, à ne pas lire si vous voulez sortir d’une dépression car je dois avouer que l’atmosphère qui y règne n’est pas forcément très joyeuse : Le Palais d’Hiver.

Ce roman raconte la vie de Lydia Lafforgue, qui a du déménagé de Chazelles près d’Angers à la ville de Pau, surplombant les Pyrénées. En effet, ruinés par la guerre, ses parents ont voulu en 1918 tourner la page et refaire leur vie. Ce qui va marquer la jeune fille pour toujours a été le refus familial de la laisser s’épanouir au Conservatoire, elle ne cesse de se répéter qu’elle aurait pu être une cantatrice fabuleuse. Cette défaite, cette montée vers la Gloire avortée, est comme le signe d’une déchéance plus générale : toute sa vie, elle ne pourra s’empêcher de ressasser cette carrière qu’elle n’a pas eu.

Mais plus qu’une fille d’une bourgeoisie reconvertie dans la confiserie, c’est toute une communauté que l’on suit dans ce roman : les voisins imprimeurs Béranger, les Casadebat, M. Tournon et M. Tournade, Gille Collette et bien d’autres. Une fresque de visages qui formeront la nouvelle famille des Lafforgue. A travers des fêtes, des amitiés, des amours, la vie de Lydia parmi eux aurait pu être heureuse, mais il faut croire que par moment, elle préfère se saborder. Je n’en dirais pas plus pour ne pas vous enlever l’envie de lire ce livre.

 En douceur, Roger Grenier nous dépeint une époque, une société aujourd’hui effacée. A chaque coup de pinceau, un nouveau souvenir palois se dessine et la vie de ses personnages prend corps sous nos yeux. C’est un roman mélancolique, nostalgique qui est témoin en une vingtaine d’années des relations qui se font et défont, d’un pays qui évolue. On a beau savoir que c’est de la fiction, on se croirait presque dans une chronique.

J’ai beaucoup apprécié ce livre même s’il n’est pas renversant. Ce n’est pas un roman à sensation, c’est juste un roman qu’il faut savoir savourer et lire lentement, encore du Grenier donc ! La lecture est agréable, au premier abord on penserait que ces descriptions et ce ton langoureux nous ennuierait mais étrangement, l’auteur sait nous tenir en haleine sans nous emmener à bout de souffle non plus !

J’avoue que je ne suis pas très objective pour ce livre car Grenier dépeint avec amour cette magnifique ville qu’est Pau, sa promenade des Pyrénées, son château… C’est un endroit que j’affectionne particulièrement et j’ai cru y voyager grâce à cette lecture, quelques décennies en arrière bien sûr.

 

C’est vrai que l’écrivain ne dépeint pas ici un sentiment d’allégresse, une ambiance enjouée malgré les quelques fêtes décrites, mais en même temps, après une guerre mondiale, puis pendant une crise économique comme on en a rarement vu… je pense que c’est assez fidèle à ce qu’on ressentait à cette époque !

Bref, une jolie lecture, agréable, un roman qui sait retenir l’attention.

Roger Grenier, Le Palais d’Hiver, Folio (347), 6€.

La fiancée de Fragonard, de Roger Grenier

Je reviens encore avec du Roger Grenier, mais après les carnets de pensées et le roman, je vous propose cette fois un recueil de (très bonnes) nouvelles : La Fiancée de Fragonard. Sincèrement, ça me change de la déception de Passer l’hiver, d’Olivier Adam. Ici, toutes les nouvelles sont vraiment différentes les unes les autres : un jeune qui va devenir pion, une rencontre dans un train, la recette des pralines, un pèlerinage à Lourdes… il y en a pour tous les goûts.

 

Roger Grenier ne veut pas ici élucider toutes les grandes questions universelles : il nous donne à voir simplement des tranches de vies cocasses ou tristes, ennuyeuses pour les personnages ou gênantes. Il s’efface pour laisse toute la place à ces êtres de papier, si bien que j’ai vraiment oublié pendant ma lecture que c’était de la fiction, que c’était de la littérature. Je me suis complètement laissée aller à la contemplation de ces paysages et de ces gestes.

Au début, on croise des adolescents, des enfants qui débutent dans la vie, trébuchent un peu. Puis les personnages grandissent, et parfois ont un peu plus de mal à s’inscrire dans leur époque, ils se trouvent trop vieux pour manifester en Mai 68. Ou alors, c’est leur passé qui leur pose problème, ou plus simplement le fait de vivre, d’interagir avec d’autres humains, d’être un animal sociale et sociable.

Le cavalier est un des « écorchés » les plus connus de l’artiste anatomiste Fragonard. La légende veut que la personne sur le cheval soit une ancienne amoureuse.

Ce serait dur de vous résumer toutes les émotions par lesquelles nous fait passer ce livre. Mais c’est doux, encore et toujours, du vrai Grenier je dirais ! A lire l’esprit tranquille !

Roger Grenier, La fiancée de Fragonard, Gallimard NRF, 9€45 (mais le prix est affiché en francs sur mon recueil, pourtant acheter neuf sur commande chez mon libraire il y a quelques semaines!)

Ciné-roman, de Roger Grenier

« Dans la rue du Midi, de nombreux commerçants avaient collé sur leur porte ou leur vitrine l’affichette du cinéma. On les payait en place gratuite. L’affichette était imprimée en bleu, entourée d’une bande d’étoiles blanches sur fond bleu. Ces étoiles, quel symbole ! Pourquoi suffisent-elle à suggérer toute la magie du spectacle ? Que voulaient-elles représenter, au début ? Les artistes, les feux de la rampe, l’Amérique ? Ou bien la nuit, car le spectacle ne peut commencer sans elle qui lui permet de créer à la guise ses propres lumières, ses feux qui sont, à proprement parler, d’artifice ? Et le cinéma n’est-il pas, avant toute chose, un lieu où l’on commencé par reconstituer la nuit ? Il y avait déjà des étoiles jadis sur le chapeau pointu des magiciens. Le cinéma, lui, en avait hérité des vieux cirques et, malgré tous les efforts pour être moderne, les étoiles reparaissaient toujours sous la plume des dessinateurs, quand il fallait désigner le Septième Art. Au fronton même du Magic, surmontant la marquise, deux grandes étoiles en tôle encadraient les mots « Magic Palace ». L’intérieur des étoiles et de chaque lettres étaient garnis d’ampoules électriques. »

Ciné-roman est une œuvre plutôt étonnante. Je vous avais prévenu : l’auteur est encore une fois Roger Grenier (mais promis, la prochaine chronique portera sur un autre écrivain). Cette fois, il s’agit donc d’un roman sur le cinéma comme l’indique le titre, mais plus précisément sur un cinéma, le Magic Palace.

Le Magic Palace, c’est l’œuvre de Monsieur La Flèche, un hyperactif entrepreneur dans le milieu du spectacle. Son nouveau projet est un duo : une salle de cinéma de banlieue et un dancing. Si ce dernier réussit assez bien, le premier a plus de mal à faire venir les foules, il le vend donc à la famille Laurent. On retrace alors la route de ce petit bout du Septième Art : les représentations, la concurrence, la mauvaise réputation, les affiches, l’implication du jeune fils, François.

On ressent beaucoup d’amour pour ce bâtiment un peu miteux qui passe des films déjà vus et des infos de troisième semaine. Le muet venait de laisser place au parlant, une nouvelle vague d’acteurs et de prodiges techniques bouleversait ce petit univers où l’argent est le nerf de la guerre. Et même si le Magic Palace est très loin de rouler sur l’or, même s’il est en banlieue, après ce pont qui représente une limite fatidique… eh bien, il continue coûte que coûte, avec sa peinture rose et sa machinerie vieillissante à ravir quelques dizaines de fauteuils vides, plus quelques spectateurs. Mais le Magic Palace, c’est aussi le voisinage du bruyant dancing, et une équipe d’ouvreuses et de portiers de second main mais soudée.

Roger Grenier s’attarde surtout sur le petit jeune, François, qui va peu à peu se sentir chez lui au cinéma et voir une passion naître en lui. Il prend possession des lieux, d’abord par obligation, puis par plaisir. En quelques mois, le Magic Palace est devenu sa vie. Cet engouement est beau à lire, un peu triste mais très sincère.

On sent un attachement profond de Roger Grenier pour ce cinéma. Qu’il l’est connu personnellement ou bien que ce soit un établissement fictionnel mais représentatif de bien d’autres plus réels, on ne cesse de naviguer entre la biographie authentique et les faits imaginés. Grâce à l’auteur, on a pu redécouvrir cette époque du cinéma en noir et blanc, de Laurel et Hardy et d’autres acteurs aujourd’hui oubliés. Roger Grenier a fait revivre tous les personnages qui font exister à force de sueur et de sang cet établissement. Et même s’il ne s’attarde pas sur ces êtres, il lui suffit de quelques traits pour leur redonner toute leur humanité.

Au début, je pensais que ce récit allait m’ennuyer, mais les personnages sont vraiment divers et attachants, et finalement, Roger Grenier arrive à rendre passionnante la vie et le fonctionnement de cet établissement. Comme toujours ses phrases sont efficaces bien que beaucoup plus travaillées et réfléchies que dans les deux autres œuvres précédemment chroniquées. L’auteur manie la langue avec naturel et naît alors un roman très attachant.

P. S. : Après quelques recherches, voici ce que dit Roger Grenier sur sa propre expérience au cinéma, bien proche de celle de François Laurent, le héros du roman.

« Mes parents ont acheté un cinéma de quartier. Et, comme il n’a pas tardé à péricliter, j’ai remplacé un projectionniste. Je révisais mes cours de philo, un livre posé sur un ampli, tout en assurant la projection, les changements de bobine… On retrouve tout cela dans Ciné-Roman. Bien des années plus tard, comme j’ai travaillé à quelques scénarios, j’ai été pendant deux semaines salarié de la Metro-Goldwyn-Mayer. Quelle aventure, pour l’adolescent qui, dans son cinéma aux banquettes vides, rêvait à la magie de Hollywood ! » (source)

Roger Grenier, Ciné-roman, Folio (667), 8€70.

Instantanés, de Roger Grenier

Je reviens encore avec un livre de Roger Grenier, mais habituez-vous car ce ne sera pas le dernier. J’en ai choisi un dans la même veine que Le palais des livres : il s’agit d’Instantanés.

Ce livre est composé de plusieurs petits chapitres, des « instantanés », qui évoque différentes personnes du monde des lettres. Tous nous ont quitté il y a plusieurs années et Roger Grenier les a presque tous connu personnellement.

C’est une entreprise originale : vouloir sauvegarder par les mots une vie, un moment, une expérience, une rencontre. Ce n’est pas une œuvre de témoignage à proprement dit mais plutôt un hommage rendu à ses personnes qui ont impressionné Roger Grenier, lui ont appris des choses sur la littérature ou la vie.

Bien sûr, on retrouve des noms connus, notamment Camus avec qui il était proche, ou encore Romain Gary mais aussi des personnes un peu oubliées aujourd’hui ou dont même on ignorait l’existence : des auteurs français ou étrangers, des journalistes, des voyageurs… Roger Grenier nous parle de leur vie entière, ou de leur œuvre, ou d’un de leurs livres en particulier, mais il se rappelle également d’un interview partagé avec eux, du fait de devenir voisin, de leur bureau, de leur amour pour les animaux… Plus que des professionnels, ce sont des hommes originaux, uniques qui nous sont présentés ici. Avec quelque mot, Grenier sait leur redonner vie.

 

Mais en plus, on se prend une nouvelle claque concernant cet auteur à la vie si remplie car il partage avec nous quelques unes de ces histoires personnelles, de ses expériences : sa vie rue du Bac, son poste à Combat, son voyage près du Potomac pour rencontrer Dos Passos, sa carrière d’intervieweur… Je suis juste époustouflée d’en apprendre encore plus sur sa biographie si épaisse.

Et comme dans Le palais des livres, on retrouve une écriture sans fioritures ni effet de manches, toujours si agréable à lire, vraie, juste, sincère, émouvante sans être mélo. Un petit bonheur.

Roger Grenier, Instantanés, NRF Gallimard, 14€75.

Le palais des livres, de Roger Grenier

« Qu’est-ce qu’un roman, en fin de compte ? C’est une sorte de miroir qui reflète à la fois la vie intérieure la plus intime de l’auteur et un aspect du monde extérieur. C’est une façon de démonter la réalité pour la recomposer autrement, afin d’en donner une image plus vraie, je veux dire une image qui puisse être utile au lecteur, lui apprendre quelque chose sur le monde et sur lui-même. La vie à l’état brut est souvent trop incohérente, trop mystérieuse aussi, pour que l’on puisse en tirer un enseignement. La vie, décomposée et recomposée à travers le prisme du roman, nous permet de réfléchir. Plus les satisfactions d’ordre esthétique et l’émotion, l’effusion sentimentale qu’il nous apporte. »

La lecture, de Georges Croegaert

C’est ce genre de réflexions qui peuplent Le palais des livres de Roger Grenier. Peut-être avez-vous vu du côté de ma PAL la liste impressionnante de bouquins de cet auteur que je dois lire pour la rentrée ? Ce sont des « lectures étudiantes », je dois les lire pour la fac, mais pour une très bonne raison ! En effet, mon master (« métiers de l’écriture et de la création littéraire » si vous voulez tout savoir) organise régulièrement des rencontres avec des écrivains et le premier à nous rendre visite en septembre est Roger Grenier. Autant vous dire que je vais me sentir toute petite à côté de ce grand bonhomme au CV de trente pages.

Bref, je dois lire plusieurs de ses œuvres et j’ai commencé par celle-ci. On pourrait dire qu’il s’agit d’un essai, mais je trouve que ça ressemble plus à un carnet de pensées. Des pensées sur tout l’univers littéraire : de l’intérêt du roman, l’écrivain en tant qu’homme, les thèmes littéraires dont l’amour, quelques réflexions sur des termes précis.

Dans Le palais des livres, on ne parle pas que de lettres, mais plus largement de la vie. Roger Grenier nous livre une part de lui-même à travers ses mots, et cela d’égal à égal, et c’est vraiment très appréciable ! Des phrases justes mais jamais alambiqués, un vocabulaire simple sans être simplet et surtout, par-ci, par-là, des anecdotes personnelles, des petites notes biographiques sur des acteurs de la vie littéraire française et internationale.

Cette œuvre se lit doucement, comme un bonbon qu’on laisserait fondre sur la langue. On apprend des choses, on en entraperçoit d’autres, on voyage entre les différents chapitres avec grâce. Une petite lecture bien agréable pour sortir du roman.

Roger Grenier, Le palais des livres, aux éditions Folio (5478), 6€.