L’envers de l’espoir, de Mechtild Borrmann

On oublie trop souvent à quel point Tchernobyl a bouleversé la vie de milliers de gens en Ukraine. Au-delà des maladies, cette nuit-là et le jour qui a suivi… c’était le début de la fin pour beaucoup de familles. Abreuvées par de fausses informations du gouvernement mais aussi par des rumeurs effrayantes, elles ont été obligées de partir de chez elles, de tout quitter. Elles on littéralement tout perdu. On a rasé les villages, on a tué les animaux, on a coupé les arbres, on a bétonné la poussière, on a tout enterré. Bref, aujourd’hui je vais vous parler de L’envers de l’espoir de Mechtild Borrmann.

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Nous sommes en 2010. Valentina vit, seule, dans la zone d’exclusion. Elle écrit pour sa fille (qui a disparu depuis quelques mois) ses souvenirs. Son enfance, son désir d’aller à Pripiat, son mariage, et la fameuse catastrophe… Ce récit m’a particulièrement touché et intéressé, c’est très bien raconté. En parallèle, on suit Tania, une jeune fille perdue qui est recueillie un matin glacial par Lessmann en Allemagne. D’où vient cette demoiselle ? Pourquoi est-elle en danger ? Lessmann ignore encore que sa vie a lui aussi va prendre un drôle de tournant. Tournant peut-être lié à cette enquête que mène Leonid : de nombreuses femmes ont disparu pour l’Allemagne, après y avoir obtenu une bourse d’études…

J’ai surtout adoré la partie de l’histoire lié à Valentina, cette femme usée par la vie et les pertes. J’ai vu la catastrophe de Tchernobyl d’un autre œil, j’ai appris beaucoup de choses. Les autres personnages m’ont moins touchée : il faut dire que l’auteure met une certaine distance, c’est étrange. Il y a tout ces noms, toutes ces infos, tous ces personnages secondaires qui ne font que passer. Les événements s’enchaînent, l’histoire est intrigante mais le lecteur reste en dehors de tout ça. Je me suis souvent emmêlé les pinceaux entre tous les personnages et j’ai beaucoup moins été passionnée par le côté policier du roman.

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A vrai dire, je ne sais pas vraiment quoi en penser : cette lecture était agréable et l’auteure a une vraie maîtrise de son histoire, la narration est impeccable. Mais je n’ai pas compris l’intérêt un peu artificiel, qui fait rajouté au montage, de ces deux histoires parallèles : Tchernobyl, et l’enquête sur la disparition d’étudiantes. Au fond, ça aurait pu faire deux romans distincts qui fonctionneraient très bien, auraient une unité. Car ici, même si je trouve le lien entre ces deux lignes rouges très bien fait, je n’ai pas réussi à me couler dans cette histoire. Heureusement, même si le style est un peu froid, l’écriture est impeccable… Je crois que le temps d’un roman court comme celui-ci, je peux apprécier.

Je serais très curieuse d’avoir votre avis sur cette auteure ou ce roman. Aujourd’hui encore, plusieurs jours après la fin de cette lecture, j’ignore si j’ai adoré ou juste subi cette lecture.

Mechtild Borrmann, L’envers de l’espoir, traduit de l’allemand par Sylvie Roussel, aux éditions Livre de Poche, 7€70.

Tout ce qui est solide se dissout dans l’air, de Darragh McKeon

Il y a des événements historiques qui m’aimantent et j’apprécie lire des romans autour d’eux. C’est le cas par exemple de la catastrophe de Tchernobyl qui eut lieu le 26 avril 1986 en Ukraine, au sein de l’Union soviétique. C’est en partie le sujet de Tout ce qui est solide se dissout dans l’air de Darragh McKeon.

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On suit dans ce livre plusieurs personnages qui vont être touchés de très près ou de très loin par la catastrophe. Cette famille paysanne qui vit à une dizaine de kilomètres de la centrale. Ce chirurgien qu’on va envoyer là-bas et qui s’effare du manque de précautions prises, des mensonges. Cette ancienne journaliste, qui est aussi l’ancienne épouse du précédent personnage, qui a toujours voulu au fond d’elle savoir ce qui se passait réellement dans son pays et répandre les informations. Son neveu de neuf ans, un peu chétif mais vrai prodige au piano.

Tous les personnages sont attachants, et on découvre leur passé dans un très habile jeu de retours en arrière, de souvenirs. Leur identité, leur histoire se construisent sous nos yeux et le lecteur prend beaucoup de plaisir à suivre leur évolutions. A titre personnel, j’étais vraiment intéressée par la catastrophe de Tchernobyl en soi, ses conséquences : les maladies qu’elle a engendrées, les irradiations partout et sur tout, les décisions dangereuses du Parti juste pour garder la face. Vu tout ce que j’ai appris dans les pages de ce roman, j’ai été d’autant plus passionnée, avide de savoir, à tel point que les autres pages sur les autres personnages qui sont vraiment moins touchés par l’accident… eh bien, ça m’ennuyait presque de les lire.

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La langue de McKeon est sublime, quelle belle plume ! Ses personnages sont forts et il maîtrise à la perfection son intrigue, sa narration et son rythme. J’ai découvert avec ce roman un auteur très talentueux qui m’a fait découvrir mille choses sur la vie en Russie à cette époque précise. La fin du livre n’est pas à mon goût, mais c’est très personnel. Dans tous les cas, il est certain que ce livre est une pépite et je ne peux que vous le conseiller !

(Décidément, je fais vraiment de bonnes lectures cette année!)

Darragh McKeon, Tout ce qui est solide se dissout dans l’air, traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau, aux éditions Belfond, 22€.

Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson

Avant de passer à ma lecture commune de mai, et parce que je suis d’une logique implacable, j’ai décidé pour les premiers beaux jours de l’année de lire un récit qui se déroule sur les rives du lac Baïkal en pleine taïga russe : Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson (oui, je le lis après tout le monde sur la blogosphère).

11 février

Au matin, nous reprenons la glace. La forêt défile. (…) La glace craque. Des plaques compressées par les mouvements du manteau explosent. Des lignes de faille zèbrent la plaine mercurielle, crachant des chaos de cristal. Un sang bleu coule d’une blessure de verre.

« C’est beau », dit Micha.

Et plus rien jusqu’au soir.

A 19 heures, mon cap apparaît. Le cap des Cèdres du Nord. Ma cabane.

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Sylvain Tesson a passé six mois en pleine Sibérie. Son environnement se résumait à l’unique pièce de sa cabane et à son poêle qui lui apportait de la chaleur, autant dire ici de la vie. Il voulait goûter à la solitude dans les immensités enneigées de la taïga. Le premier village était à cinq jours de marche. Son quotidien : couper du bois, observer, risquer sa vie sans s’en rendre compte en explorant les environs, boire du thé et de la vodka, lire et écrire, accueillir les visiteurs impromptus.
C’est peut-être d’ailleurs cela qui m’a le plus étonnée dans ce livre, véritable journal autobiographique de cette longue expérience : je m’attendais vraiment à un récit sur la vie d’ermite mais à mon grand étonnement j’ai croisé beaucoup de personnages dans ces pages. J’en suis un petit peu déçue, oui, pour la simple raison que je ne désirais pas vraiment lire ses rencontres avec les rares touristes de passage ou les Russes perdus dans les environs. Le voir se saouler, pêcher et mener de drôles de conversations avec d’autres, j’avoue que je m’en fiche. Je préfère ce passage où il évoque l’importance de voir un oiseau par la fenêtre, ces pérégrinations parmi les sapins, les subtils changements dans le paysage au fil des mois qui passent, son lien avec ses deux chiens.

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J’ai un véritable amour pour ces coins du monde – un de mes rêves est de faire tout le trajet en Transsibérien. Et j’étais très enthousiaste de commencer cette lecture, j’en avais entendu du bien et j’imaginais qu’il me permettrait de m’évader et de me recentrer. J’aimais beaucoup l’idée de cette retraite, avec des livres et de quoi écrire, avec beaucoup de thé et les heures qui se diffusent au gré du soleil. Mais j’ai été tout de suite désarçonnée par le style de l’auteur dont je n’avais rien lu auparavant. Beaucoup de métaphores, de phrases poétiques… ce n’est pas ce que je voulais lire, tout simplement. Cette langue m’a paru trop riche là où j’attendais du dépouillement, de la simplicité. J’avais l’impression de toujours lire quelque chose écrit à côté de ce que je voulais au fond. En bref, ce récit n’est pas fait pour moi, je ne suis pas la bonne personne, la bonne lectrice pour lui.

Je lui reconnais toutefois de nombreuses qualités : les pages défilent assez vite au gré du redoux dans la taïga, le style peut plaire – il est beau. Ça ne se répète pas, sacré exploit. Mais malgré toutes ces bonnes choses, je n’ai pas complètement accroché. Ce moment de lecture fut agréable mais je ne retenterai pas l’expérience Sylvain Tesson.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, aux éditions folio, 7€70.

Une soirée littéraire, d’Ivan Gontcharov

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Cela faisait une éternité que je n’avais pas lu un roman russe. C’est une littérature que j’apprécie, mais à petite dose, sinon je fais vite une overdose justement ! Il faut dire que j’ai à chaque fois l’impression d’atterrir sur une autre planète, d’être catapultée dans une société à laquelle je ne comprends pas tout et, surtout, dont je ne fais pas partie. Et avec Une soirée littéraire d’Ivan Gontcharov, ça n’a pas raté.

Des invités sont réunis chez Ouranov : gens du monde du livre, connaissances, prétendantes, militaires. Une petite vingtaine, pour écouter une lecture. Pour la plupart, c’est une première. L’auteur n’est pas connu. Il s’agit à du premier roman sur lequel il travaille – histoires d’amour et de jalousies dans les hautes castes, à la russe. Lecture longue, qui en passionne certains, qui en ennuie d’autres. Petits discussions, coup d’œil, attitudes, pensées. On revient sur chaque personnage, on le présente. Car une fois la lecture passée, leur hôte les convie à un repas : le moment idéal pour reparler du roman lu, mais pas seulement. Littérature, journalisme, rang social, etc. De nombreux autres sujets de conversations vont émailler la nuit. C’est aussi l’occasion pour beaucoup de se rencontrer, de faire connaissance autour de la table. Des personnalités s’affirment, se dessinent.

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Un petit récit qu’on ne trouverait pas chez nos auteurs français. J’ai l’impression que seuls les Russes savent faire ce genre de récit : ambiance désuète d’une aristocratie du siècle passé, littérature classique qui s’oppose aux points de vue moderne, et galerie de personnages. Des personnages qu’on rencontre par touches, et que je n’arrêtais pas de confondre. On n’est pas assez proche d’eux, les dialogues constants nous embrouillent : je me suis perdue à plusieurs reprises, ce qui ne m’a pas aidé à dessiner la personnalité de chacun ! Toutefois, je me suis laissé bercée sans trop chercher à avoir le fin mot de l’histoire, et les pages défilent sans trop de difficulté. Mais je n’irai pas jusqu’à dire que cette lecture fut excellente. C’est un peu trop impersonnel, et surtout assez vain : je n’ai pas vraiment trouvé qu’il y avait là une intrigue, un but, un fil conducteur solide. On suit une nuit à la russe, en passant. Et je n’attendais rien de plus de ce petit livre ceci dit et il m’a diverti le temps d’une journée.

A vous de voir si vous voulez tenter l’aventure !

Ivan Gontcharov, Une soirée littéraire, traduit par Bernard Kreise, aux éditions de L’Herne, 16€.

A l’encre russe, de Tatiana de Rosnay

Je retrouve Tatiana de Rosnay, après ma lecture du Cœur d’une autre, il y a quelques temps déjà. Aujourd’hui, je vais vous parler de L’encre russe, qui a élu domicile dans ma bibliothèque depuis plusieurs mois et méritait d’en sortir.

L’histoire ne peut se résumer en une seule phrase. L’action se déroule dans un hôtel luxueux dans un lieu paradisiaque de la côte italienne. Nicolas Kolt, écrivain, y réside pour le week-end avec sa compagne Malvina. Il n’aime pas cette jeune fille comme il devrait l’aimer, mais ses sentiments se sont affadis depuis sa rupture avec son ex. Nicolas a trouvé le succès et la richesse grâce à son roman L’Enveloppe qui a battu tous les scores de ventes internationaux. Il y raconte un secret de famille, inspiré de sa propre histoire : son père, disparu en mer alors qu’il était enfant, avait en réalité des parents russes. Nicolas Duhamel, de son vrai nom, décide alors de choisir pour nom de plume, le patronyme (un peu raccourci au passage) de son père.

Le motif de ces vacances au bord de mer : écrire. Cela fait des mois qu’il doit écrire son deuxième roman, il ballade tout le monde en faisant croire que tout va bien, mais en réalité, il n’est plus capable d’écrire.

Rien que ça, l’impossibilité d’écrire, c’est un fichtrement bon sujet de roman, surtout avec un personnage comme Nicolas, qu’on déteste un peu, mais qu’on ne peut s’empêcher d’aimer tout de même. Mais c’est sans compter sur l’ingéniosité de Tatiana de Rosnay qui ne va pas s’arrêter là. La figure du père et des origines russes vont hanter notre personnage. Il se questionnera sur sa relation aux femmes, à son ex, à Malvina. Et les choses ne vont pas se passer comme prévu à l’hôtel. Bref, il y a de quoi faire, il y a de quoi lire. J’ai beaucoup apprécié la fresque de tous ces personnages – et ils sont plutôt nombreux – qui est détaillée sans nous embrouiller ou nous noyer pour autant. L’auteure manie avec facilité les flash-back pour nous permettre de visiter le passé du héros, sans même s’en rendre compte. Les allers-retours entre le passé et le présent sont partout mais ne posent aucun problème de lecture.

Il est très dur de dire tout ce que j’ai ressenti à cette lecture. Tout d’abord, du divertissement ! J’ai passé un très bon moment, et j’ai été happée par l’histoire en moins de dix pages. De l’intérêt et de l’attachement aussi, de la curiosité pour tous ces personnages secondaires plein de vie. De l’attirance et de l’agacement pour le héros, l’auteure sait très bien jouer avec nos sentiments !

L’écriture de Tatiana de Rosnay est en même temps simple et élaborée. Elle va beaucoup plus loin qu’une narration lambda, mais à aucun moment la lecture ne se fait heurtée ou difficile. On voit que l’auteure pense à ses lecteurs, et cela fait vraiment plaisir !

Bref, j’ai passé une belle lecture en compagnie de Nicolas Kolt (qui a un compte Twitter d’ailleurs!) et je ne peux que vous conseiller d’en faire autant.

Tatiana de Rosnay, A l’encre russe, Le Livre de Poche (33301), 7€60.

La Promesse de l’aube, de Romain Gary

Je n’ai pas tout lu, c’est évident. Certains auteurs célébrissimes, des monstres de la littérature française me sont encore inconnus. Parmi eux, il y avait Romain Gary. Les aléas de la vie ont fait qu’avant 2015 je n’avais encore jamais lu cet écrivain, quand bien même il m’intéressait. Je dois vous avouer que j’ai toujours été amusée par sa mystification littéraire : quand il s’est dédoublé pour être à la fois Romain Gary et Emile Ajar, quand il a donc reçu le prix Goncourt à deux reprises pour chacune de ses identités, et quand on a fini par découvrir cela, mais seulement après sa mort.

Il se trouve que je suis tombée dessus par hasard au travail, et cette ancienne curiosité est remontée. En ce moment, j’ai assez de temps pour lire, alors je ne pouvais plus reculer. Pour une première rencontre, j’ai choisi La Promesse de l’aube. Un roman à part dans la bibliographie de Romain Gary, car c’est aussi une auto-biographie, avec quelques écarts subjectifs peut-être, des oublis, mais cela retrace assez bien la jeunesse de l’écrivain vu par lui-même des dizaines d’années plus tard. Il raconte d’ailleurs comment il a commencé très tôt à chercher des pseudonymes (sans jamais citer celui qui fut le plus célèbre) :

Depuis six mois, je passais des heures entières chaque jour à « essayer » des pseudonymes. Je les calligraphiais à l’encre rouge dans un cahier spécial. Ce matin même, j’avais fixé mon choix sur « Hubert de la Vallée », mais une demi-heure plus tard je cédais au charme nostalgique de « Romain de Roncevaux ». Mon vrai prénom, Romain, me paraissait assez satisfaisant. Malheureusement, il y avait déjà Romain Rolland, et je n’étais disposé à partager ma gloire avec personne. Tout cela était bien difficile. L’ennui, avec un pseudonyme, c’est qu’il ne peut jamais exprimer tout ce que vous sentez en vous. J’en arrivais presque à conclure qu’un pseudonyme ne suffisait pas, comme moyen d’expression littéraire, et qu’il fallait encore écrire des livres.

La Promesse de l’aube, c’est l’histoire d’une mère ambitieuse et d’un fils qui fera tout pour la combler. Cela débute en Russie, mais la seule patrie visée et aimée, c’est la France. Et pour l’atteindre, il faut se distinguer par tous les moyens, toutefois les plus nobles sont ceux à privilégier : l’œuvre littéraire, les faits de guerre, la diplomatie.

Ce roman, c’est la quintessence de l’amour filial, c’est l’aboutissement extrême de l’adoration maternelle. C’est un témoignage poignant et doux, l’hommage d’un fils pour sa mère chérie.

L’histoire en elle-même, ce n’est presque pas important, elle retrace tous les moyens mis en œuvre à travers la Russie, la Pologne, la France, les territoires alliés pour qu’un petit garçon devienne un homme, toujours sous le regard, même lointain, de sa maman. C’est comment Roman Kacew devient Romain Gary, diplomate français et écrivain célèbre. Il nous raconte comment sa mère tombait en dévotion devant ses yeux clairs tournés vers la lumière, comment il poursuivait son rêve d’écriture dans des conditions loin d’être idéales, comment il a tout fait pour devenir Français alors que sa naturalisation récente le freinait, comment il s’est battu dans des avions pendant la guerre, et comment il y a perdu tous ses camarades.

Je ne peux pas vraiment en dire plus, car rien ne peut résumer les mots de Gary. Je ne regrette pas d’avoir attendu un peu avant de le lire, de ne pas avoir fondu dessus à l’adolescence. Car un peu de maturité pour comprendre ce livre permet de le voir dans toute sa profondeur et son génie.

On me répète que cette œuvre-là s’éloigne des autres livres de Gary, j’imagine donc que je ne suis pas au bout de mes surprises.

Romain Gary, La Promesse de l’aube, folio (373), 8€.

La Confrérie des Moines Volants, de Metin Arditi

Je dois avouer, je ne suis vraiment pas régulière niveau postage de nouveaux billets. J’ai moins le temps de lire, mais surtout moins la disposition pour écrire. Pourtant, il va bien falloir que cela change puisque le NaNoWriMo commence très bientôt. Si je veux parvenir à écrire 50 000 mots en un mois, je dois commencer à me réveiller. Bref, aujourd’hui, on n’est pas là pour parler écriture personnelle, mais pour papoter littérature francophone avec un roman de Metin Arditi : La Confrérie des Moines Volants.

Il faut que je vous dise, si je l’ai lu, c’est seulement par son titre que j’ai adoré à la première lecture. J’ai été mi-figue, mi-raisin pour le reste de l’ouvrage. Ce livre se sépare en deux grandes parties. La première nous emmène en 1937, où le régime soviétique exécute les prêtres et les moines, pille les église. Parmi ces hommes de foi, certains parviennent à s’échapper et à errer discrèrement dans les forêts. C’est le cas de Nikodime, un ermite en proie parfois au Malin, qu’il essaye de combattre en aimant son Dieu le plus fort qu’il puisse. Avec une poignée d’autres moines sans foyer, il décide de créer la Confrérie des Moines Volants qui a pour but de sauver les trésors, les icônes, les reliques de leur Eglise. L’autre partie du livre se passe de nos jours et fait ressurgir dans la vie d’un Français, qui ignore beaucoup de choses sur sa famille, ce passé glorieux et caché.

Nikodime a vraiment existé, le pillage russe des églises aussi, la confrérie également. C’est sur ce fond de vérité que se tisse l’histoire de Metin Arditi. L’écriture de ce roman traîne souvent en longueur, elle ressasse quelques épisodes pour mieux essayer de nous faire comprendre la psychologie du personnage principal, mais il y avait sûrement un moyen moins ennuyeux de nous y faire parvenir. Nikodime est un homme à l’âme trouble et il aurait été intéressant de mieux le connaître, plus intimement. Je dois avouer avoir trouvé le temps long lors de cette lecture.

La deuxième partie est un peu plus mouvementée, des mystères à percer, des secrets à dévoiler… La trame est intéressante, dommage là encore que l’écriture des personnages ne soit pas à la hauteur. C’est d’autant plus regrettable que ce sont les hommes qui font le cœur de ce roman.

Il faut toutefois admettre que l’on est plongé assez facilement dans ce décor atypique des forêts abandonnées russes. Les dialogues sont fluides, je les ai beaucoup apprécié.

Mais je n’arrive pas à m’enlever cette impression de lourdeur qui suinte après la lecture de ce roman, je n’ai pas été emportée, alors qu’il y a toute la matière nécessaire pour que cela soit pourtant possible. Une petite déception personnelle donc, mais cela ne sera pas pour autant un mauvais souvenir de lecture.

Metin Arditi, La Confrérie des Moines Volants, chez Grasset, 19€90.

Une banale histoire, d’Anton Tchekhov

Tchekhov et moi, on ne sait jamais trop aimé, je trouve ses histoires ennuyeuses, ses personnages trop geignards et malheureux, même si son théâtre rattrapait un peu ces défauts à mes yeux. Mais j’ai voulu retenter l’expérience avec un petite nouvelle : Une banale histoire.

C’est très russe toujours mais j’ai été bien contente de ne pas me retrouver dans la campagne profonde et gelée. Ici nous suivons un vieux professeur d’université qui sait bien qu’il n’est pas en bonne santé. Nicolaï Stépanovitch est connu et reconnu dans son domaine. Sa vie, il la mène avec passion dans les amphithéâtres : donner cours à des étudiants est sa raison de vivre. Mais avec un corps qui fatigue, les jours deviennent plus sombres, il se place en spectateur sage  de sa vie.

Il y a sa femme, ses filles, ses visites d’étudiants, de quémandeurs, de confrères, de soi-disant amis qui ont chacun leur particularité, et il y a la jeune Katia qu’il a élevé. Cette femme qui n’est pas son enfant mais qu’il aime sans vraiment la comprendre. Elle s’est passionnée de théâtre, a connu l’allégresse et l’amour, mais elle aussi aujourd’hui glisse dans les ténèbres. C’est la noirceur, une sorte d’antipathie, une incompréhension pour la vie qui guide ces deux êtres. Ensemble, face à face, ils essaient de comprendre ce qu’a été leur existence. Revenir sur ses illusions, trouver son chemin pour continuer.

 

C’est un livre calme, observateur. L’auteur prend son temps et nous décrit cette société, ces rites immuables, un peu hypocrites. J’ai eu l’impression d’y être, et ce fut très dépaysant. Le héros est attachant, on le considère avec un peu de pitié, car il a eu beaucoup de choses dans sa vie, mais à l’orée de sa mort, il s’aperçoit qu’en fait, ce n’était que du vent. Une sacrée réflexion sur la mort et sur ce qu’elle efface. On a d’autant plus envie de laisser notre trace sur la terre après la lecture de cette nouvelle, pour par qu’on nous oublie. On veut écarter tout l’inutile, tout le costume sociétale pour vivre de vraies choses et dire et faire quelque chose de vrai, quelque chose qui compte.

 

L’écriture ici m’a réconciliée avec Tchekhov. Elle est classique mais on sent une patte particulière, une voix qui traduit la mélancolie, la nostalgie, le désabusement. C’est très beau et très triste, et paradoxalement, c’est une lecture agréable, pas du tout déprimante. Je vous la conseille !

 

Anton Tchekhov, Une banale histoire, Folio 2€ (4105).

Tangente vers l’est, de Maylis de Kerangal

« Le premier couloir est vide, tout le monde dort là-dedans quand pourtant c’est dehors que ça se passe, l’aube qui relève la forêt à toute allure, redresse chaque fût à la verticale, le sous-bois bleuté perforé de rayons chargés d’une lumière charnelle, la taïga comme un tissu magnétique que la nouvelle épaisseur de l’air module à l’infini. Hélène, captée par l’extérieur, traîne insensiblement – traverser la baie vitrée et atterrir dans les mousses, un roulé-boulé et puis l’infiltration (…). »

Tangente vers l’est, un livre que j’avais peur de ne pas aimer après l’immense réussite de Naissance d’un pont. Maylis de Kerangal a écrit ce petit livre lors d’un voyage dans le transsibérien organisé par France Culture, en compagnie d’autres écrivains. Des personnages à la russe.

 

De nos jours (enfin, j’en déduis que c’est de nos jours car à part un ordinateur et un ou deux téléphones portable, on pourrait très bien penser que l’histoire se déroule il y a plusieurs dizaines d’années de cela), il y a encore des conscrits, des jeunes appelés à l’armée russe sans qu’on leur demande leurs avis. Ils savent déjà ce qui va leur arriver : débarquer dans le vent et la neige sur une terre sibérienne inconnue, dans une base militaire vieillotte, obéir aux réglements, aux ordres sans moufter, se faire lyncher par les anciens, les plus grands, les plus forts, ne pas savoir quand est le retour, vivre à la dur, vivre sous les insultes peut-être, et les coups, à des milliers de kilomètres de sa famille. Et pour les emmener vers ce nouvelle horizon, il y a le transsibérien, cette ligne de train russe qui parcoure presque un quart de la planète, qui traverse des cités de charbons et des bleds gelés. Pour nous, c’est un train mythique signe d’aventure, pour la plupart des Russes, c’est le moyen le plus économique de voyager.

Aliocha fait partie de ces jeunes à qui on veut mettre de force un treillis militaire, mais depuis le début il veut tout sauf ça. Il aimerait s’enfuir, partir en ligne droite sans un regard en arrière, même si cela veut dire vivre dans l’illégalité, tout mais pas ça. Pas mourir gelé dans le permafrost, pas avoir le nez qui pisse le sang parce qu’on aura regardé un peu trop longtemps un mec plus baraqué que soi. Le jeune homme scrute et scrute encore les rails qui défilent, il essaie d’en faire une ligne de fuite par où s’échapper.

Puis au détour d’un wagon et d’une vodka, il rencontre Hélène, une Française qui a pris le transsibérien sur un coup de tête, alors que son couple avec un jeune homme russe bat de l’aile. Avec des gestes, lui et elle se comprennent : la détresse, la peur, l’appel au secours. La jeune femme va essayer d’aider ce garçon, mais c’est parfois difficile de s’accorder alors qu’on vient juste de se rencontrer… Un courte rencontre, riche en émotion et en péripétie.

 

Petit ce livre qui se dévore en une journée. Au début, j’ai été perplexe : cet Aliocha ne me semblait pas si intéressant que ça, j’avais vraiment du mal à situer l’époque de l’histoire. Mais petit à petit, on découvre que ce jeune homme est un vrai personnage russe, un mélange de plainte et d’angoisse, d’attachement et de timidité. Quant à Hélène, je l’ai tout de suite aimé. Leur relation éclair n’est pas simple et elle est gouvernée par des impératifs : fuir et ne pas se faire prendre.

C’est une jolie parenthèse dans le mode de vie russe et dans cet étrange rituel des conscrits (je suis bien contente après cette lecture que le service militaire ne soit plus obligatoire en France!). Il y a beaucoup d’émotion, même si c’est peu mis en relief, et un peu caché sous une mise à distance factice des personnages.

La plus belle chose de ce roman, c’est la description de ce mode de transport si particulier, ce train qui traverse les kilomètres, les décors et les fuseaux horaires. Voyager dans le transsibérien est depuis longtemps un de mes rêves – mon chéri, lui, préférerait l’Orient Express – donc j’étais par avance sure d’aimer au moins un peu ce roman. Mais j’ai été comblée : on a vraiment l’impression de vivre pendant une semaine dans ce train, entre la troisième et la première classe, entre les escales et le wagon restaurant. C’est une mécanique huilée qui assure le fonctionnement du transsibérien, j’ai beaucoup aimé la découvrir. Les longues phrases de Maylis de Kerangal, rythmées par les virgules, m’ont fait croire entendre le cliquetis des roues sur les rails, le ronflement du moteur.

Toutefois, ce n’est pas là le meilleur livre de l’auteure. Son style est léger mais parfois trop emphatique. C’est impossible d’aller à l’essentiel ici, mais ce n’est pas grave car les mots de Kerangal créent une atmosphère poétique. Cependant, un peu de concision, parfois, ne m’aurait pas déplu. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce texte qui m’a convaincu au fil des pages. Autant vous le dire, à la fin, j’ai foncé sur internet pour voir le prix des billets pour le transsibérien. Bref, je vous conseille cette lecture si vous avez envie d’évasion dans la toundra. Un petit roman russe assez agréable ma foi.

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, aux éditions Verticales, 11€50.

Apollinaria, une passion russe, de Capucine Motte

Avec le Japon, la Russie est une de mes patries préférées concernant la littérature. Aujourd’hui je vous propose, non pas de découvrir un auteur russe, mais un roman qui en utilise un comme personnage : Apollinaria, une passion russe de Capucine Motte.

 

Nous sommes dans les années 1860. Fédor Dostoïevski est un auteur connu dans le milieu littéraire et politique. Alors qu’il vient faire une visite à l’université de Saint-Pétersbourg, son chemin croise celui d’Apollinaria Souslova, une jeune fille pleine de rêve, issue d’une famille qui vient tout juste de gagner sa liberté : à l’heure où la Russie se questionne sur le fait de pouvoir posséder ou non la vie d’un autre être humain, son père est un ancien serf émancipé. Sa sœur est pour une révolution, une femme active, tandis qu’Apollinaria s’imagine bien écrire, mener une vie douce.

Sa relation avec Fédor sera forte, troublante et troublée, une passion tempétueuse où se mêle l’admiration et le désir. La jeune femme deviendra une muse à défaut d’être une auteure reconnue. Mais ce premier amour n’est peut-être pas celui dont elle rêve. Il est marié, il est dur. Apollinaria s’en va à Paris, pour essayer d’autres horizons. Elle fera des rencontres, elle ressentira de nouvelles émotions blessantes ou galvanisantes. À travers l’Europe, on voyage dans les casinos et les stations thermales, entre le français, le russe et l’espagnol. Une initiation pour trouver l’amour et l’attachement.

Au début, j’ai eu peur de ne pas être convaincue par ce livre. Je m’attendais trop à une intrigue centrée autour du grand écrivain russe, alors que le roman est éponyme. Apollinaria en est l’héroïne, et l’auteure y retrace sa vie, celle de sa famille, le chemin vers l’émancipation, l’intégration dans une société qui n’accepte pas encore les affranchis.

L’écriture n’est pas blanche, mais elle est simple, sans fioritures et jeux de manche. Elle va à l’essentiel sans rien nous cacher des tourments des personnages. Des personnages aux caractères variés, de nationalités diverses, qui constituent une vraie fresque de l’époque. La narration est rondement menée, ce qui n’est pas simple avec une utilisation de la troisième personne qui entraîne généralement une distanciation. Ce roman est un périple de plusieurs années qui nous entraîne dans l’intimité de Dostoïevski et dans la vie politique russe à travers l’Europe. C’est doux et passionnant.

Je ne pourrais pas vous en dire plus, je me suis laissé promener sans trop réfléchir, je me suis laissé bercer par les pleurs d’Apollinaria et ses moments d’amour (et quelles tendres sonorités que son prénom!) Bref, je vous le conseille si vous souhaitez aller faire une promenade dans la littérature russe et le dix-neuvième siècle.

Capucine Motte, Apollinaria, une passion russe, aux éditions JC Lattès, 18€50.