A l’abri du monde, de Peter Rock

Moi, on me dite secte, retrouvailles, disparition, fin du monde, j’achète. Et c’est sur cette base que je me suis lancée dans la lecture d’A l’abri du monde de Peter Rock. Sauf que. Je me suis un peu sentie flouée là.

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Voici l’histoire. Colville et Francine faisaient partie dans les années 1980 d’un mouvement religieux qui prédisait la fin du monde pour 1990. La grande Messagère leur avait demandé de construire des abris sous-terrains et de rassembler des denrées, ce que la communauté faisait avec beaucoup de zèle. Mais la fin du monde n’a pas eu lieu. Colville et Francine alors adolescents se sont écartés de cette secte. A présent, Francine travaille. Elle est mariée et attend un bébé. Mais alors que le quartier est en effervescence pour retrouver une petite fille disparue, elle a la surprise de voir à sa porte Colville, son ami d’enfance.

Alors là, vous pensez : Colville agit bizarrement, est-ce qu’il y a un lien avec l’enfant recherché ? Ou va-t-il semé la zizanie dans le couple ? Cela va-t-il faire resurgir le passé et faire parler de la secte ? Moi aussi j’étais toute émoustillée à la lecture des premières pages. Mais Colville et Francine vont finalement peu se croiser dans ce roman. Le rapport à la secte est très étrange, plus nostalgique qu’inquiétant ou hypnotisant (ce qui aurait pu grandement améliorer cette lecture). Les personnages se comportent de façon très très étrange : et vas-y que je fais des battues dans les bois alors que je suis enceinte jusqu’au yeux, et vas-y que je vole le chien des voisins, et vas-y que je parle à des inconnus dans les bois. Aucune logique dans leurs faits et gestes, où, s’il y en a une, l’auteur ne nous la donne pas. Je suis bien d’accord que le lecteur a sa part du boulot dans tout ça, mais il faut quand même nous donner les clés pour qu’on puisse le mener à bien ce travail du pacte de lecture.

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C’est un roman qui repose sur les personnages mais on les connaît à peine, on ne fait qu’effleurer ce qu’ils ressentent, on les suit dans leurs actions sans avoir vraiment le choix. Ils agiraient de façon compréhensible, je ne dis pas, mais ici je cherche toujours le sens de leur raisonnement. Francine ou son mari, Colville et son lien avec la secte : tout cela m’était assez étranger même à la fin de ce livre.

Je suis complètement passée à côté des enjeux de l’histoire. Heureusement qu’il y a un petit retournement de situation à la fin, sinon j’aurais franchement eu l’impression de perdre mon temps. Et pourtant, il y avait du potentiel dans cette intrigue : l’auteur aurait pu faire naître de la tension, une menace avec le comportement bizarre de Colville, personnage insaisissable, ou la disparition de la petite fille. La plongée dans le passé de Francine, enceinte en plus, aurait pu être plus vivante, plus forte en émotion. L’aspect hypnotique ou paranoïaque, qu’on devine parfois, aurait pu être beaucoup mieux amené et exploité.

Mais malheureusement, la seule impression que me laisse ce roman, c’est de l’incompréhension mélangée à de la frustration. Peut-être que d’autres ont pu apprécié ce côté non-dit, mais sincèrement, ça n’a pas été mon cas. A aucun moment, je me suis attachée aux personnages, et pour moi, c’est rédhibitoire.

Peter Rock, A l’abri du monde, traduction de l’américain par Anne-Laure Paulmont et Frédéric H. Collay, aux éditions rue fromentin, 18€

La bouilloire russe, de Marie Didier

J’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises Marie Didier pendant mon master, et ces moments nous ont tellement plus que notre promotion a choisi de s’appeler la « promotion Marie Didier ». Cette femme a un parcours remarquable, une plume magnifique et un cœur énorme. Je viens de finir la lecture d’un petit récit, un des rares écrits de Marie Didier que je n’avais pas encore lu : La bouilloire russe.

Ce livre est le carnet d’un homme, médecin dans un hôpital, qui se retrouve de l’autre côté du bureau, et devient le patient le jour où on lui annonce qu’il est atteint d’un cancer. Sa vie bascule, lentement, dans la maladie et la remise en question qui l’accompagne souvent. Il écrit au fil des jours ce qu’il vit, mais surtout ses souvenirs, ceux de son couple, les épreuves qu’ils ont traversé. On l’accompagne lors de son scanner ou de sa radiothérapie mais aussi lors du chamboulement de son mariage quand sa femme lui préfère une guitariste étranger. Ce carnet, c’est d’ailleurs pour elle qu’il l’écrit. Pour lui dire les choses qu’il n’a pas pu lui dire plus tôt et qu’il risque de ne jamais pouvoir lui avouer si jamais la maladie l’emporte. C’est une sorte de témoignage et d’héritage.

Comme d’habitude, la langue de Marie Didier est touchante et juste. On s’attache à son personnage sincère et trop amoureux, qui a peur de la maladie mais accepte ce coup du sort, un homme lâche et courageux à la fois. La lecture est rapide et fluide, mais n’est pas simpliste pour autant. L’auteure utilise des images élégantes, sans être trop baroques ou complexes non plus. J’ai envie de résumer l’écriture comme suit : elle est sincère et belle.

« Ce n’était plus moi qui regardais les choses, c’étaient les choses qui me regardaient, qui m’empoignaient tout entier ; ce n’était pas cette forme de contemplation qui vide le monde, c’était son contraire, puisque chaque élément se faisait la métaphore des autres, échappant ainsi à la clôture, à sa solitude. Le coassement du corbeau devenait la voix du peuplier en feu dans le couchant, le bruit du vent avait la couleur de l’herbe, le chemin était la route des nuages. »

Marie Didier est avant tout médecin, une grande partie de sa vie, elle l’a donné aux autres. C’est une femme sensible, et tout cela se ressent dans son écriture. La lire est un vrai plaisir même si les émotions procurées peuvent être dures. Ce livre nous met à nu en même temps que le narrateur le fait de lui-même. J’ai été beaucoup touchée à la lecture de ce livre, et je préfère prévenir : il risque d’en remuer certains, surtout ceux ayant une relation particulière à la maladie. Mais il vaut vraiment le détour !

Marie Didier, La Bouilloire russe, aux éditions Séguier, 11€.

Un grand amour, de Nicole Malinconi

Je viens vous présenter aujourd’hui un minuscule récit d’une maison d’édition belge : Esperluète. Un grand amour de Nicole Malinconi donne la parole à Theresa Stangl. C’est l’épouse de Franz Stangl, ancien commandant de Sobibor et Treblinka, hauts lieux de l’horreur nazie. Cet homme autrichien avait réussi à fuir avec sa famille en Syrie après la fin de la guerre, avant de rejoindre l’Amérique du Sud où il vécut de nombreuses années de quiétude. Il finit tout de même par être arrêté puis emprisonné à perpétuité, et mourut derrière les barreaux, laissant une veuve en plein questionnement. Un jour, une journaliste vient à la rencontre de cette dernière : elle a connu son mari, ils se sont entretenus pendant qu’il était enfermé. Elle va écrire un livre. Elle fera ressurgir chez Theresa tous les doutes d’une vie à deux.

Ce livre n’est pas une confession, ni vraiment un monologue, c’est le combat entre le cœur et la raison d’une femme qui aimait trop son mari pour voir la vérité en face. Pendant toute la guerre, elle a su sans le vouloir, elle a crié, elle a pleuré, elle a eu peur mais elle a toujours cru son époux, même quand les journaux, les tribunaux lui criaient au visage qu’elle partageait sa vie avec un monstre. Elle, elle connaissait l’homme, pas le tortionnaire. Elle n’a jamais voulu en savoir plus, elle n’a pas souhaité connaître la réelle implication de son mari dans les camps de concentration nazis : ne pas connaître la vérité pour croire au mensonge. C’était presque un geste inconscient dicté par son cœur pour sauver son couple, sa famille, sa stabilité mentale aussi, pour se sauver elle du gouffre d’horreur des morts par milliers. Elle se tenait loin de cet univers lugubre, reliée seulement à cela par son mari. La vie au Brésil lui avait permis de retrouver une existence un peu près normale mais le passé à rattraper Franz.

« J’ai voulu le croire, lui ; je l’aimais ; je croyais les mots de l’homme que j’aimais ; je croyais l’amour avant les mots ; l’amour comptait bien plus, il était d’un autre monde que les mots, eux avec leurs raisonnements et toutes ces pensées qu’ils traînaient ; c’était comme si l’amour avait émoussé les raisonnements et les pensées, même la plus terrible qui me torturait chaque nuit, la pensée de mon mari, organisant des travaux de construction là même où l’on mettait à mort délibérément des êtres humains. […] La question, je ne me l’étais pas posée ; je n’avais pas vu alors que la cloison entre les travaux de construction et les mises à mort de Sobibor et de Treblinka ne tenait qu’à moi, à l’amour que j’avais pour lui, qu’elle n’existait pas. »

Ce petit livre de quelques dizaines de pages nous retransmet avec une sincérité criante et touchante ces années d’aveuglement, cette peur des faits, le déchirement qui en a résulté quand la vérité ne pouvait plus être niée. L’écriture de Nicole Malinconi est forte et poétique à la fois, mais elle reflète surtout l’incertitude angoissée du personnage. De fait, elle semble parfois un peu dure à suivre, un peu alambiquée : j’aurais aimé des phrases plus courtes, plus directes pour que le lecteur ne se sente pas exclu du récit. Toutefois, la remise en question de Theresa ne peut que nous toucher. La femme se demande ce qui lui reste après tout cela et la dernière question de la journaliste finit de la jeter dans le doute. Un petit livre qui m’a serré le cœur et que je vous conseille.

Nicole Malinconi, Un grand amour, aux éditions Esperluète, 14€.

Hors de moi, de Didier Van Cauwelaert

De Didier Van Cauwelaert, j’entends le pire comme le meilleur. D’un côté, on me dit que sa lecture est toujours un bon moment, de l’autre que c’est un auteur qui ne fait pas attention. Bref, je me suis décidée à me faire une opinion moi-même en lisant son court roman Hors de moi.

Il s’agit de l’histoire d’un homme, un Américain qui réside depuis peu en France. Il se réveille suite à un accident, retourne chez lui, tout est normal pour l’instant. Mais alors qu’il sonne à sa propre porte pour retrouver sa femme, il découvre qu’un autre homme a pris sa place. Mais de façon totale et dans tous les aspects de sa vie : il se nomme comme lui, sait les mêmes choses que lui, habite chez lui, exerce son job. Il lui semble qu’on lui a volé sa vie. Mais comment expliquer que même sa propre femme ne le reconnaît pas ? Il cherche en vain des appuis, mais il semblerait que personne ne peut véritablement l’aider. Heureusement, la chauffeuse de taxi, dans la voiture de laquelle il a eu son accident, la seule dans cette ville qui l’a connu avant ce revirement de situation, lui vient en aide.

Ce livre ne paie pas de mine : une mauvaise quatrième de couverture, un titre pas très vendeur, une couverture horrible. Mais heureusement, le contenu s’avère beaucoup plus satisfaisant qu’il ne le laissait penser. Ce livre est très rapide à lire, il est efficace : en quelques pages, tous les éléments sont mis en place, l’intrigue avance au trot, pas de place pour l’éparpillement. Et heureusement : plus les pages passent, plus on a envie de connaître le dénouement – qui n’est pas décevant, ouf !

J’aurai peut-être aimé que l’auteur prenne plus son temps, qu’il aille plus en détail et en finesse pour ménager le suspense, le rendre plus insoutenable. Les personnages sont bien développés, mais leurs relations auraient pu être plus fouillées, la psychologie du personnage principal encore plus exposée.

Ma chronique sera comme ce roman : court, elle va au principal. Cette lecture a été un agréable moment, mais trop rapide à mon goût : l’auteur aurait pu passer plus de temps sur ce roman !

Didier Van Cauwelaert, Hors de moi, Le Livre de Poche, 5€.

Feu pour feu, de Carole Zalberg

Je reviens vers vous après une absence de plusieurs jours et un été assez pauvre en articles. Les vacances sont passées par là, mais aussi un tournant dans ma vie : j’ai fini et validé mon master en métiers de l’écriture. Je me lance dans la vie active. Hier, jour de mon anniversaire, mon auto-entreprise en animation littéraire a officiellement commencé son activité. Je dois monter un site internet, faire de la communication, trouver les premiers clients… D’ailleurs, si vous êtes dans la région toulousaine et que vous recherchez quelqu’un pour des ateliers d’écriture, de lecture ou, plus généralement, pour de l’animation dans le monde littéraire, faites-moi signe !

J’espère aussi pouvoir alimenter plus régulièrement mon blog. Pour moi, les vacances ne sont pas du tout synonymes de lecture, au contraire ! Aucun roman dévoré, à peine quelques articles de presse… Mais j’ai fait main basse sur un tout petit roman très beau, lu dans le cadre de sa participation au Prix des Cinq Continents de la Francophonie. Il s’agit de Feu pour feu de Carole Zalberg, et c’est un coup de cœur.

L’histoire se déroule dans plusieurs pays, on ne sait pas vraiment lesquels, mais on les devine. C’est une histoire de survie, de sauvegarde, de famille, d’émigration. Un père prend dans ses bras sa petite fille, un bébé encore contre mère alors que celle-ci vient de mourir, entourée d’autres corps. Il faut partir, pour sauver sa peau, trouver d’autres lieux plus sûrs, d’autres façons de continuer. C’est le récit d’une lutte où il faut garder espoir, car on ne peut plus reculer : derrière il n’y a que les morts et les souvenirs.

Ce père va marcher, assurer leur sécurité, il va essayer de tout donner à ce petit bébé si patient, si sage qu’on dirait qu’elle comprend toute la situation. Il fera confiance aux autres quand il n’aura pas le choix. Il travaillera en confiant son unique enfant à une inconnue, car il n’aura pas le choix. Il prendra les décisions qu’il faudra prendre, et il réussira. Oh, bien sûr, ce n’est pas le paradis et les étapes ont été longues, mais ce qu’il a pu lui offrir sera toujours mieux que ce qu’il y avait là-bas.

De ce passé, nul besoin d’en parler, c’est ancré en lui mais il ne souhaite pas que sa fille parte elle aussi dans la vie avec un bagage aussi lourd. Il ne peut que la voir grandir, s’épanouir, et essayer de la comprendre, même ses gestes les plus fous, même ses mots les plus durs.

C’est un récit poignant, à l’émotion affleurante, mais c’est aussi et surtout un roman tout en pudeur. Il raconte ce qui ne se dit pas, sans que ce soit réellement un secret. L’errance, le départ sont des étapes parfois vitales mais toujours difficiles. Cette expérience, des gens ont du la vivre : c’est ce que je m’imagine, et c’est pour ça que j’ai d’autant plus été à fleur de peau à la lecture de ce petit livre. Il est difficile d’en dire vraiment plus : au début, on ne sait pas où ces mots nous entraînent, mais très vite on suit la plume de l’auteur malgré nous, le cœur battant. L’écriture semble très personnelle, intime, même si l’on sait que ce n’est pas la voix propre de l’auteure. On rentre sur un territoire privé, où l’ombre du passé et la lumière de l’amour se côtoient.

Je n’en dirai pas plus, car ce que je ressens pour ce minuscule ouvrage est ineffable. Juste : lisez-le.

Carole Zalberg, Feu pour feu, aux éditions Actes Sud, 11€50.

Une banale histoire, d’Anton Tchekhov

Tchekhov et moi, on ne sait jamais trop aimé, je trouve ses histoires ennuyeuses, ses personnages trop geignards et malheureux, même si son théâtre rattrapait un peu ces défauts à mes yeux. Mais j’ai voulu retenter l’expérience avec un petite nouvelle : Une banale histoire.

C’est très russe toujours mais j’ai été bien contente de ne pas me retrouver dans la campagne profonde et gelée. Ici nous suivons un vieux professeur d’université qui sait bien qu’il n’est pas en bonne santé. Nicolaï Stépanovitch est connu et reconnu dans son domaine. Sa vie, il la mène avec passion dans les amphithéâtres : donner cours à des étudiants est sa raison de vivre. Mais avec un corps qui fatigue, les jours deviennent plus sombres, il se place en spectateur sage  de sa vie.

Il y a sa femme, ses filles, ses visites d’étudiants, de quémandeurs, de confrères, de soi-disant amis qui ont chacun leur particularité, et il y a la jeune Katia qu’il a élevé. Cette femme qui n’est pas son enfant mais qu’il aime sans vraiment la comprendre. Elle s’est passionnée de théâtre, a connu l’allégresse et l’amour, mais elle aussi aujourd’hui glisse dans les ténèbres. C’est la noirceur, une sorte d’antipathie, une incompréhension pour la vie qui guide ces deux êtres. Ensemble, face à face, ils essaient de comprendre ce qu’a été leur existence. Revenir sur ses illusions, trouver son chemin pour continuer.

 

C’est un livre calme, observateur. L’auteur prend son temps et nous décrit cette société, ces rites immuables, un peu hypocrites. J’ai eu l’impression d’y être, et ce fut très dépaysant. Le héros est attachant, on le considère avec un peu de pitié, car il a eu beaucoup de choses dans sa vie, mais à l’orée de sa mort, il s’aperçoit qu’en fait, ce n’était que du vent. Une sacrée réflexion sur la mort et sur ce qu’elle efface. On a d’autant plus envie de laisser notre trace sur la terre après la lecture de cette nouvelle, pour par qu’on nous oublie. On veut écarter tout l’inutile, tout le costume sociétale pour vivre de vraies choses et dire et faire quelque chose de vrai, quelque chose qui compte.

 

L’écriture ici m’a réconciliée avec Tchekhov. Elle est classique mais on sent une patte particulière, une voix qui traduit la mélancolie, la nostalgie, le désabusement. C’est très beau et très triste, et paradoxalement, c’est une lecture agréable, pas du tout déprimante. Je vous la conseille !

 

Anton Tchekhov, Une banale histoire, Folio 2€ (4105).

J’aimerais revoir Callaghan, de Dominique Fabre

J’ai rencontré Dominique Fabre lors de deux semaines d’ateliers d’écriture dans le sud de la France où j’étais un peu stagiaire, un peu bénévole. Je n’avais rien lu de lui, mais déjà je m’étais fait une opinion sur ce monsieur : un gars incroyablement gentil, doux et souriant. Sincèrement, si tous les écrivains pouvaient avoir cette modestie et cette courtoisie, ce ne serait pas du luxe. Alors quand même, j’ai voulu rencontrer sa plume et j’ai commencé par son livre sans doute le plus connu : J’aimerais revoir Callaghan.

Jimmy Callaghan, c’est un anglais qui a passé son enfance et son adolescence en France, il fume des Benson, n’aime pas les fumer seul mais reste bien solitaire et mystérieux. C’est le genre de garçon aux cheveux blonds, qui a toujours la classe, et ce genre d’aura, obsédante et attirante. Un peu mauvais genre, mais pas le mauvais bougre. On veut tous être son copain, et le narrateur plus que tout. Il veut connaître la vie de Callaghan, recevoir ses confidences, et faire le mur avec lui.

Mais la vie a ses aléas, et Jimmy est le genre de garçon qui s’en va toujours, mais finit par revenir à un moment. Et ce moment, c’est vingt plus tard, quand la vie amoureuse du narrateur connaît un tournant. Callaghan a changé, bronzé et SDF, après un bout de temps en Australie. Les gestes sont naturels, comme s’ils ne s’étaient jamais quitté. Mais de l’eau a coulé sous les ponts, et même s’ils font revivre une amitié un peu ténue, dans leurs existences, rien n’est plus pareil. En partant, Jimmy laisse sa valise. Il faudra bien lui rapporter.

Très étrange cette intrigue, une relation qui unit deux garçons dès l’internat, qui se poursuit et se distance à travers les décennies. Ce n’est pas le cœur du livre puisque la vie du narrateur soulève des questionnements et remplit des dizaines de page, mais en même temps, sans Callaghan, ce livre n’aurait plus de substance. Sa présence permet de mettre en lumière des situations, des souvenirs, tout se dit en se réflétant dans le miroir de Jimmy. Un bien curieux personnage, qui trimbale son lot de passé dépressionnaire, mais avec une flegme extérieure. Un homme qui veut être dans l’ombre mais qui a une vie bien mouvementée, et fait une sacrée impression sur notre narrateur qui se rappellera de lui toujours.

C’est un petit livre assez court, avec une narration qui pourrait semblait ordinaire, mais qui pourrait seulement. Comme un mantra, des bribes de paroles d’écolier font resurgir le souvenir. Une écriture nostalgique, un peu descriptive mais juste ce qu’il faut, avec le ton grave d’une voix qui se raconte. C’est assez particulier, je ne sais pas encore si j’ai aimé, mais je peux déjà dire que j’ai trouvé cette expérience de lecture dépaysante et intrigante. Au moins, vous devriez essayer.

« Alors voilà. Nous étions tous ensemble, il y a longtemps de cela. Nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. Nous ne sommes jamais partis pour toujours, même Jimmy. »

 Dominique Fabre, J’aimerais revoir Callaghan, Le Livre de Poche (32184), 6€10.

Ciné-roman, de Roger Grenier

« Dans la rue du Midi, de nombreux commerçants avaient collé sur leur porte ou leur vitrine l’affichette du cinéma. On les payait en place gratuite. L’affichette était imprimée en bleu, entourée d’une bande d’étoiles blanches sur fond bleu. Ces étoiles, quel symbole ! Pourquoi suffisent-elle à suggérer toute la magie du spectacle ? Que voulaient-elles représenter, au début ? Les artistes, les feux de la rampe, l’Amérique ? Ou bien la nuit, car le spectacle ne peut commencer sans elle qui lui permet de créer à la guise ses propres lumières, ses feux qui sont, à proprement parler, d’artifice ? Et le cinéma n’est-il pas, avant toute chose, un lieu où l’on commencé par reconstituer la nuit ? Il y avait déjà des étoiles jadis sur le chapeau pointu des magiciens. Le cinéma, lui, en avait hérité des vieux cirques et, malgré tous les efforts pour être moderne, les étoiles reparaissaient toujours sous la plume des dessinateurs, quand il fallait désigner le Septième Art. Au fronton même du Magic, surmontant la marquise, deux grandes étoiles en tôle encadraient les mots « Magic Palace ». L’intérieur des étoiles et de chaque lettres étaient garnis d’ampoules électriques. »

Ciné-roman est une œuvre plutôt étonnante. Je vous avais prévenu : l’auteur est encore une fois Roger Grenier (mais promis, la prochaine chronique portera sur un autre écrivain). Cette fois, il s’agit donc d’un roman sur le cinéma comme l’indique le titre, mais plus précisément sur un cinéma, le Magic Palace.

Le Magic Palace, c’est l’œuvre de Monsieur La Flèche, un hyperactif entrepreneur dans le milieu du spectacle. Son nouveau projet est un duo : une salle de cinéma de banlieue et un dancing. Si ce dernier réussit assez bien, le premier a plus de mal à faire venir les foules, il le vend donc à la famille Laurent. On retrace alors la route de ce petit bout du Septième Art : les représentations, la concurrence, la mauvaise réputation, les affiches, l’implication du jeune fils, François.

On ressent beaucoup d’amour pour ce bâtiment un peu miteux qui passe des films déjà vus et des infos de troisième semaine. Le muet venait de laisser place au parlant, une nouvelle vague d’acteurs et de prodiges techniques bouleversait ce petit univers où l’argent est le nerf de la guerre. Et même si le Magic Palace est très loin de rouler sur l’or, même s’il est en banlieue, après ce pont qui représente une limite fatidique… eh bien, il continue coûte que coûte, avec sa peinture rose et sa machinerie vieillissante à ravir quelques dizaines de fauteuils vides, plus quelques spectateurs. Mais le Magic Palace, c’est aussi le voisinage du bruyant dancing, et une équipe d’ouvreuses et de portiers de second main mais soudée.

Roger Grenier s’attarde surtout sur le petit jeune, François, qui va peu à peu se sentir chez lui au cinéma et voir une passion naître en lui. Il prend possession des lieux, d’abord par obligation, puis par plaisir. En quelques mois, le Magic Palace est devenu sa vie. Cet engouement est beau à lire, un peu triste mais très sincère.

On sent un attachement profond de Roger Grenier pour ce cinéma. Qu’il l’est connu personnellement ou bien que ce soit un établissement fictionnel mais représentatif de bien d’autres plus réels, on ne cesse de naviguer entre la biographie authentique et les faits imaginés. Grâce à l’auteur, on a pu redécouvrir cette époque du cinéma en noir et blanc, de Laurel et Hardy et d’autres acteurs aujourd’hui oubliés. Roger Grenier a fait revivre tous les personnages qui font exister à force de sueur et de sang cet établissement. Et même s’il ne s’attarde pas sur ces êtres, il lui suffit de quelques traits pour leur redonner toute leur humanité.

Au début, je pensais que ce récit allait m’ennuyer, mais les personnages sont vraiment divers et attachants, et finalement, Roger Grenier arrive à rendre passionnante la vie et le fonctionnement de cet établissement. Comme toujours ses phrases sont efficaces bien que beaucoup plus travaillées et réfléchies que dans les deux autres œuvres précédemment chroniquées. L’auteur manie la langue avec naturel et naît alors un roman très attachant.

P. S. : Après quelques recherches, voici ce que dit Roger Grenier sur sa propre expérience au cinéma, bien proche de celle de François Laurent, le héros du roman.

« Mes parents ont acheté un cinéma de quartier. Et, comme il n’a pas tardé à péricliter, j’ai remplacé un projectionniste. Je révisais mes cours de philo, un livre posé sur un ampli, tout en assurant la projection, les changements de bobine… On retrouve tout cela dans Ciné-Roman. Bien des années plus tard, comme j’ai travaillé à quelques scénarios, j’ai été pendant deux semaines salarié de la Metro-Goldwyn-Mayer. Quelle aventure, pour l’adolescent qui, dans son cinéma aux banquettes vides, rêvait à la magie de Hollywood ! » (source)

Roger Grenier, Ciné-roman, Folio (667), 8€70.

Avant d’aller dormir, de S. J. Watson

Depuis sa sortie, je rongeais mon frein, j’étais frustrée de ne pas avoir encore eu l’occasion de lire ce livre. Alors dès sa sortie en poche, je lui ai sauté dessus, même si je n’ai pas pu le dévorer tout de suite. Cessons le suspens à deux francs six sous, je veux vous parler aujourd’hui de la révélation S. J. Watson et de son roman Avant d’aller dormir.

Il s’agit d’un thriller, alors autant vous dire qu’il fallait qu’il soit vraiment alléchant pour m’attirer car ce n’est pas ma littérature favorite. Son grand atout a été de ne pas se passer dans un cadre policier, ce n’est pas un récit de fuite ou d’enquête. C’est plutôt rare et ça ne pouvait qu’attiser ma curiosité.

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L’histoire, c’est celle de Christine, une femme de quarante-sept ans mais qui pense en faire vingt ans de mois. En effet, chaque matin, elle se réveille sans souvenir. Pour elle, elle est étudiante ou adolescente, cela varie et chaque jour, c’est la surprise, le désarroi. Elle se retrouve dans un lit qu’elle ne reconnaît pas, dans une maison qui ne lui dit rien, auprès d’un inconnu qui doit alors lui expliquer qu’elle est amnésique et que lui, c’est Ben, son mari.

La tête dans le brouillard, une fois cet homme parti au travail, elle reçoit un coup de téléphone d’un certain docteur Nash, il lui explique que depuis quelques jours et malgré son amnésie, elle tient en secret de son mari un journal qu’elle remplit chaque jour, un procédé mis en place pour améliorer sa mémoire. Mais une fois qu’elle l’a entre les mains, la première phrase l’intrigue : « Ne pas faire confiance à Ben ». Et plus elle avance dans la lecture, plus elle découvre son passé à travers des souvenirs qui ont parfois resurgi, elle se refonde une identité mais met également au jour quelques incohérences, des mensonges, des secrets qui mis bout à bout dans son journal, soulèvent beaucoup de questions douteuses à propos de ce fameux Ben.

Christine comprend qu’on lui cache des choses, peut-être vitales. Et elle veut tout savoir.

Le roman est bien construit avec un début et une fin narrés par l’héroïne, le reste de l’œuvre est en fait constitué du journal en lui-même. Son style très littéraire est expliqué par la vocation d’auteure de Christine, ce qui est plutôt bien trouvé ! Et même si chaque matin c’est pour elle la même surprise, le journal n’en est pas pour autant redondant, un bon point donc, car c’était là ma plus grande crainte.

On est vite entraîné dans la vie de cette femme, et comme elle on veut connaître le fin mot de l’histoire. Dans la dernière partie de livre, les choses s’accélèrent et c’est seulement à ce moment-là qu’on peut dire que le livre est haletant. Il y a du suspens dans le reste de l’œuvre, c’est vrai, mais ça reste assez gentillet, assez doux. Parfois, on s’égare dans des petites péripéties annexes qui peuvent polluer le fil conducteur de l’histoire, et il y a même quelques longueurs. Disons que c’est un thriller pépère, mais qui n’en reste pas moins intéressant et divertissant à lire.

L’écriture est de qualité, la psychologie des personnages est très bien développée, bref, ce n’est pas pour rien que ce roman était en tête des ventes à sa sortie ! Je vous le conseille, sauf si vous êtes vraiment accro au suspens à n’en plus pouvoir, car là, il risque de vous décevoir un peu.

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S. J. Watson, Avant d’aller dormir, traduction de l’anglais par Sophie Aslanides, aux éditions Pocket (14849), 7€60.

Lu dans le cadre des challenges « Destination : PAL » chez Lili Galipette et « Thrillers et Polars » chez Liliba.

Les Yeux de Lénine, de Gérard Streiff

Encore un livre sur la Russie. Pour une fois, j’en ai choisi un écrit par un Français : Les Yeux de Lénine de Gérard Streiff. Voyage entre Paris et Moscou, passé et présent.

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2004. Alain Molinier, mémoire russe de Paris est retrouvé mort, vraisemblablement c’est son asthme non soigné qui l’a emporté. Il a légué par testament ses dizaines, ses centaines de mètres rayon d’archives, papier, photo à une ancienne conquête : Laure. Ils s’étaient rencontrés en Russie vingt ans plus tôt. Elle était correspondante pour L’Égalité, lui voulait retrouver une archive rare qui le hantera toute sa vie : la photographie de Lénine, les yeux ahuris, prise dans un sanatorium en août 1923. Cette image a été tenue secrète des dizaines d’années car si elle avait été connue la face du monde aurait pu être différente. Personne ne savait l’état de santé de Lénine qui ne permettait pas de remplir son rôle à la tête d’un peuple. Pourtant, sa fonction resta la même jusqu’à sa mort, environ une année plus tard.

Quand Laure pénètre dans la « Petite Russie », la tanière de papier et de poussière d’Alain, c’est un voyage entre son passé et son présent, son temps et celui de Staline et Lénine qui s’opère. Chaque feuille collectée par cet archiviste chevronné est un souvenir russe d’un pays qui essayait d’échapper à ses vices : interdiction de l’alcool, athéisme presque terroriste puis reniement d’un passé politique.

Laure veut remarcher sur des traces de pas dissimulées sous des années de crasse et d’oubli, hantée en rêve par la mort d’Alain, un homme qui comptera toujours pour elle, malgré leur éloignement ces dernières années.

C’est un périple à la fois triste et drôle. Entre l’appartement de Lénine, la piscine de Staline et les drogués à l’eau de Cologne, on frôle de près l’absurdité d’un pays bien mystérieux et glacé. Une plume acérée mais aussi légère permet de ne pas tomber dans l’excès. C’est un roman court pourtant l’auteur prend le temps d’explorer la psychologie des personnages, mais nous réserve quand même quelques surprises de dernière minute ! On rencontre des manchots, on visite d’anciens abris antiatomiques, on assiste également à quelques actes de vandalisme de groupuscules moscovites, sans parler des nouveaux millionnaires russes, du caviar et de Nitchevo !

Une belle ballade, presque une parade un peu entêtante, un peu sans queue ni tête, teintée de nostalgie voire de mélancolie. Un roman très agréable à lire, une jolie réussite d’un auteur lui-même correspondant de presse à Moscou.

Gérard Streiff, Les Yeux de Lénine, aux éditions Le Passage, 14 €.