Du côté de chez Swann, de Marcel Proust

FC_Proust-Du cote.inddIl y a un auteur, un classique, que j’avais envie de découvrir depuis très longtemps. Je n’étais peut-être pas prête avant, mais en tant que lectrice, j’ai mûri depuiss. J’ai donc décidé, chaque été, de lire du Marcel Proust. Parce que je savais très bien que sa Recherche du Temps perdu est une œuvre que se déguste lentement. Pour moi, l’idéal est donc vraiment de lire un roman par an, au moment des grandes vacances, quand j’ai beaucoup de temps, peu d’obligations. Exceptionnellement, je me permets alors de lire plusieurs choses en même temps : Proust et d’autres romans plus actuels et expéditifs. Ainsi, j’ai eu l’occasion ces dernières semaines de tester cet équilibre très agréable entre des lectures addictives qui me permettaient en plus d’alimenter mon blog, et une découverte littéraire douce qui m’a accompagnée et bercée pendant tout l’été. Aujourd’hui, on va donc parler Du Côté de chez Swann, premier volet de la Recherche.

C’est un long roman – au bon sens du terme – qui se divise en trois parties : Combray (de très loin ma préférée), Un amour de Swann et Noms de pays : le nom (une partie très courte qui est la suite des deux autres et dont je ne vais pas parler). On rencontre tout d’abord notre narrateur, celui que l’on va suivre tout au long de la Recherche. Il est jeune et vit à Combray. C’est un enfant qui veut seulement que sa mère adorée l’embrasse le soir avant d’aller dormir. Il a des désirs simples mais tellement vrais. Il découvre la littérature, mais ce qu’il préfère surtout ce sont les promenades. Celle du côté de Méséglise est presque quotidienne. C’est par là que vit monsieur Swann, pour lequel le narrateur va avoir une sorte de fascination. De l’autre côté, on ne peut y aller que s’il fait très beau, car la ballade est beaucoup plus longue. Au bout de ce chemin vivent les Guermantes, symbole de la haute société que l’enfant voudra à tout prix intégrer plus tard. Dans la deuxième partie, on s’éloigne de la vie de notre narrateur pour rejoindre celle de ce fameux Swann. On découvre les salons de Combray, notamment celui de madame Verdurin où Swann passe du temps. Il a une aura mystérieuse, on dit qu’il côtoie les plus grands. Mais c’est pourtant dans ce salon assez modeste qu’il va rencontrer Odette. Et en tomber amoureux.

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Brouillon de Proust

Je ne vais pas en dire plus sur l’histoire car j’ai l’impression de rendre tout cela complètement inintéressant avec mes mots… Je suis loin d’être à la hauteur de Proust et retranscrire ce qu’on peut ressentir à la lecture d’une de ses œuvres est assez ardu. Quand on pense « style de Proust », on pense « phrases interminables ». Alors, oui, je ne vais pas nier qu’il y a des phrases très longues. Mais entre la majuscule du tout début et le point final, un monde s’ouvre à vous, rythmé par la ponctuation, les discours directs, les parenthèses… Cela n’est pas ennuyeux, le lecteur n’est pas perdu dans une marée de mots. Car Proust, même s’il est d’une douceur incroyable, vous emmène là où il veut. Il y a des digressions régulièrement, mais on ne lui en veut pas du tout, au contraire : on le suit dans cette barque qui vogue sur les mots. On s’attache fort aux personnages, sans même s’en rendre compte et connaître leurs vies, leurs habitudes, leurs mondes est passionnant.

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Si vous êtes un lecteur pressé, qui veut de l’efficacité, il serait facile de vous dire d’éviter Proust, car cela ne vous conviendrait pas. Mais personnellement, j’ai plutôt envie de vous encourager à essayer : persévérez pendant une cinquantaine de pages, histoire que Proust ait le temps de vous insuffler la tranquillité d’esprit propre à son style. Ce seront de vrais vacances pour vous, quittez cette urgence, cette boulimie de lecture, et prenez enfin le temps ! Laissez-vous bercer par la plume profonde et poétique de cet auteur. Rarement, j’ai vu une langue aussi belle. Dès les premiers mots, je savais que j’aimerais : ma première lecture depuis longtemps qui me fait dire « Ah mais oui, c’est vrai ! La langue française est sublime ! ».

[…] Un jour, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusais d’abord, et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portais à mes lèvres une cuillerée de thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature.

Je sais bien que je vous vends bien mal ce monument de la littérature. Je ne peux donc que vous conseiller, avec tout mon cœur, de découvrir cette œuvre incroyable.

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Marcel Proust, Du côté de chez Swann, aux éditions folio classique, 7€70.

Je vais bien, ne t’en fais pas d’Olivier Adam

9782266168526Je reviens avec un petit roman léger, histoire de faire une pause avec les grosses sagas. Il s’agit d’un livre que j’ai souvenir d’avoir lu il y a très longtemps, une petite lecture qui m’avait laissé un peu triste si je me souviens bien. Je vais bien, ne t’en fais pas d’Olivier Adam, c’est l’histoire d’un frère qui a disparu. Un soir que Claire rentrait à la maison, on lui a simplement dit : Loïc est parti, il s’est disputé avec ton père. Comment a-t-il pu abandonner sa sœur ? Ils étaient si proches. Pourtant, il est bien parti, sans aucune explication. Claire venait d’avoir son bac, maintenant elle est caissière à Paris. Elle ne vit que pour les quelques mots de Loïc que son frère griffonne au dos de cartes postales. « Je vais bien, ne t’en fais pas. Je t’aime. » C’est tout. Cela fait déjà deux ans, Claire a besoin de réponse, elle veut comprendre. Deux ans déjà, pourquoi il ne revient pas ? Alors elle va quitter son boulot de caissière et aller à Portbail. C’est de là-bas que la dernière carte postale a été envoyée. Elle fait croire à ses parents qu’elle va dans la Creuse. Mais en réalité, elle part sur les traces de son frère, en quête de réponse.

Le style d’Olivier Adam est très particulier et on le ressent dès les premières pages, même si l’histoire met un peu de temps à se mettre en place. Soit on aime, soit on déteste. Un style direct, présent, des phrases courtes et sans fioritures. Des dialogues qui vont droit au but. Cela explique sûrement que ce livre soit si court. On pourrait alors croire que c’est assez impersonnel, peut-être un peu froid, comme un style dépouillé. Et pourtant, c’est l’inverse qui se passe. Chaque mot touche au personnel, à l’émotion. On est dans l’œil du cyclone, on perçoit plus qu’on ne lit les sentiments de chaque personnage. Et on s’y attache à ces personnages. Ils font des erreurs, essaient de se montrer patients, tentent d’arranger tout le monde. Bref, ce sont des humains comme nous.

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Claire se sent seule. Elle a trop mangé. Du Nutella à même le pot. Avant ça, elle a fait une lessive, a passé un coup de fil à Irène [la mère de Claire]. Elle lui a demandé si Loïc avait écrit. Irène a paru troublée et un long silence a suivi. Tu es sûre que ça va. Non ça ne va pas très bien. Irène n’a pas su comment répondre. Elles se sont dit au revoir.

Il est difficile de dire plus sur ce roman. On veut faire court, à son image. Il est à la fois cristallin et chaleureux. On s’y sent bien, lové dans le cœur et l’esprit de l’héroïne, au chaud au sein des relations d’amour que ses proches ont avec elle. On s’y sent également un peu étranger, glacé par l’incompréhension de Claire envers son frère, bloqué par le silence de Loïc, abasourdi par la révélation finale. Un roman à double tranchant, une curiosité qui vaut le détour, qui vous laisse imaginer la fin que vous préférez. Je n’ai pas eu un coup de cœur mais je ne regrette pas du tout cette lecture qui me rappelle que la littérature sait aussi être terriblement humaine.

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Olivier Adam, Je vais bien, ne t’en fais pas, aux éditions Pocket, 4€95.

Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal (lecture commune de février 2017)

Nous sommes déjà début mars et il est donc amplement l’heure de parler de la lecture commune de février. Je ne vous cache pas que j’ai inscrit ce roman car on n’arrêtait pas de me rabâcher à quel point ce livre était bien, et son adaptation au cinéma enfonça le clou. Aujourd’hui je partage avec vous mon avis sur Réparer les vivants de Maylis de Kerangal.

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Je me sentais un peu obligée de parler de ce roman. J’ai eu l’occasion de lire la plus grosse partie de la bibliographie de l’auteure puisque mon master a organisé une rencontre avec elle il y a quelques années (que le temps passe vite!). Certaines lectures m’avaient vraiment surprises (Naissance d’un pont) ou fait voyager (Tangente vers l’Est), et j’avais moins accroché avec d’autres (Corniche Kennedy). Disons que je reconnais que le style de Maylis de Kerangal mérite qu’on en parle, mais que ses histoires ne me correspondent pas toujours. Toutefois le résumé de Réparer les vivants m’avait touché, intrigué : l’histoire d’une transplantation cardiaque, une vie se termine, une autre peut ainsi continuer.

Simon Limbres est fan de surf. Alors quand il faut se lever avant 6h00 du matin pour aller chatouiller les vagues avec ses deux meilleurs potes, il n’hésite pas. Il laisse ses parents et sa petite sœur, pour plonger corps et âme dans la mer. Mais ce n’est qu’après que le danger le menace. Quand, sur le chemin du retour, épuisé de fatigue, le conducteur se laisse avoir, alors que Simon au milieu de ses deux amis n’a pas de ceinture de sécurité. Choc fatal. Il n’y a plus rien à faire. Enfin presque. La douleur de la perte, les questionnements, la possibilité de faire un don d’organe. La machine se met en route. Avec de protocoles, des règles, un anonymat, une collaboration entre hôpitaux et des hommes et des femmes derrière chaque geste, chaque décision, chaque mot.

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Ce n’est pas que l’histoire d’une cœur, d’un opération. C’est l’histoire de ce père qui survit seconde après seconde, c’est l’histoire de cette infirmière qui vient de passer la nuit avec son amant, c’est l’histoire de ce chirurgien parisien, vraie légende du milieu, etc.

Ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, depuis que sa cadence s’est accélérée à l’instant de la naissance quand d’autres cœurs au-dehors accéléraient de même, saluant l’événement, ce qu’est ce cœur, ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre, ce qui l’a étourdi, ce qui l’a fait fondre – l’amour ; ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce qu’il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d’un corps de vingts ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait renvoyer l’écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre, seul le tracé papier d’un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme, en décrire la dépense et l’effort, l’émotion qui précipite, l’énergie prodiguée pour se comprimer près de cent mille fois par jour et faire circuler chaque minute jusqu’à cinq litres de sang, oui, seule cette ligne-là pourrait en donner le récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations, quand le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, lui, échappe aux machines, nul ne saurait prétendre le connaître, et cette nuit-là, nuit sans étoiles, alors qu’il gelait à pierre fendre sur l’estuaire et le pays de Caux, alors qu’une houle sans reflets roulait le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques, il faisait entendre le rythme régulier d’un organe qui se repose, d’un muscle qui lentement se recharge – un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute – quand l’alarme d’un portable s’est déclenchée au pied d’un lit étroit, l’écho d’un sonar inscrivant en bâtonnets luminescents sur l’écran tactile les chiffres 05:50, et quand soudain tout s’est emballé.

Oui, c’est une seule phrase. Je vous rassure que tout le texte n’est pas ainsi mais c’est du même acabit. Un style vraiment hors norme donc, tout en images, métaphores, émotions, descriptions. On s’y fait. Je dirais même qu’on finit par franchement apprécier cette écriture aux frontières floues qui n’y va pas par quatre chemins. Parfois douce, parfois crue, toujours sincère, cette plume enivre et on la suit alors qu’elle retranscrit le parcours de ce cœur qui va connaître une destinée hors du commun.

Je ne sais pas encore si j’ai aimé ou non ce livre. Je ne pense pas le relire un jour, mais je m’imagine très bien l’offrir par contre. Il m’a marqué, c’est certain, il m’a profondément ému et touché. De façon plus terre à terre, j’ai beaucoup aimé en savoir plus sur tout le processus du don d’organe et de la greffe du cœur, c’est vraiment intéressant. Les personnages sont creusés et donnent vraiment du relief, de la profondeur à ce récit. Toutefois, il faut que je sois honnête : par moment, je ne peux pas m’empêcher d’être exaspérée et agacée par ce style qui finit par se regarder lui-même, qui fait des effets de manche et en rajoute souvent à mes yeux. Je suis partisane de plus de simplicité, mais c’est un goût tout personnel.

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Je vous invite à aller voir les chroniques des autres participantes de cette lecture commune de février. Petite Noisette a été gêné par le style si particulier de Maylis de Kerangal bien que le thème du don d’organes l’intéresse beaucoup. Quant à L’Aléthiomètre, elle s’est laissé « emporter par cette lecture ».

Prochaine lecture commune, celle de mars : L’Ombre du Vent de Carlos Ruiz Zafon. N’hésitez pas à vous inscrire 😉

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, aux éditions Folio, 7€70.

Le NaNoWriMo : « Il était une fin »

Ce mois de novembre a été pour moi particulier : j’ai participé à mon premier NaNoWriMo, ce challenge international un peu fou où on prend le pari d’écrire 50 000 mots en un mois. Un rythme soutenu de 1667 mots par jour pour arriver à la fin d’un roman, avec notre fierté personnelle et un petit diplôme signé de Chris Baty, le dieu du NaNo. Oui, car la seule chose que l’on gagne ici est peut-être la plus importante victoire de notre moi écrivain : savoir que l’on peut venir à bout d’un roman, d’une histoire. Bien sûr, on reconnaît tous que la réécriture va être vraiment nécessaire et très lourde, puisque le NaNo, c’est de l’écriture au kilomètre. Mais il s’agissait bien ici de faire de la quantité, et non de la qualité, pour nous forcer à avancer et à terminer un projet, pour éviter que l’on se perde dans les détails stylistiques.

Et c’était exactement ce qu’il me fallait. Je suis en master métiers de l’écriture, et je n’avais encore jamais fini un roman, un récit ou une nouvelle excédant vingt pages. Et pourtant, j’en ai des projets, qui m’inspirent, me motivent. Mais au bout de 5000 mots, ma plume se tarit, trop épuisée d’avoir cédé à mon tic et d’être revenu une dizaine de fois sur chaque phrase pour trouver le mot juste. Je suis une chipoteuse. Je ne peux pas m’empêcher de stopper et de revenir sur ce que j’ai fait, et cela se terminait invariablement par l’arrêt pur et simple de mon écriture, et une frustration grandissante.

Le NaNo, j’en avais déjà entendu parler, mais sans réellement m’y attarder. Mais cette année, j’ai eu la chance de me faire de nombreux amis qui ont déjà titillé la muse, et j’ai voulu faire comme eux : arriver à scribouiller quelque chose de potable et pouvoir tamponner FIN sur la dernière page. Au détour d’un tweet, et d’articles de blogs évoquant le NaNo à venir, je me suis un peu plus renseignée et j’ai cédé, en moins de dix minutes, faisant fi de ma fausse excuse (« Le site est en anglais, je ne parle pas anglais »). J’ai été la première surprise de mon geste mais c’était fait, La Critiquante était bien inscrite sur le site officiel, je ne pouvais plus me débiner.

Image tirée de Rhum express

J’ai abordé ce mois avec sérénité et un adage personnel qui me tenait lieu de loi de vie et de mantra : chaque jour, faire son quota de mot. Mon secret a été la régularité. Il y avait les jours avec où je n’étais pas submergée par le travail, les études, où l’inspiration venait facilement, où les mots apparaissaient comme par magie sur mon écran. Puis il y avait les jours plus sombres (de loin les plus nombreux) où écrire était une vraie corvée, où je regardais tous les cinquante mots où en était mon word count, soupirant quand je voyais que ma moyenne journalière n’était pas atteinte. Faire le NaNoWriMo demande beaucoup de travail, il ne faut pas se leurrer, et il faut faire des choix pour se libérer du temps pour écrire mais aussi pour réfléchir à la tournure que va prendre notre fiction. J’ai dû renoncer en partie à ma vie sociale, j’ai dû me lever plus tôt chaque matin pour travailler mes cours à ce moment-là et avoir ma soirée réservée au NaNo, j’ai dû parlementer avec mon copain pour lui faire comprendre que non, ce soir, je ne peux pas m’abrutir devant des séries policières avec lui (et pourtant, j’en avais bien envie parfois!), j’ai dû ralentir mon rythme de publication sur mon blog et sur les Plumes Asthmatiques.

Mais ces efforts ont payé : j’ai franchi la barre des 50 000 mots le 29 novembre. Et mon roman se termine au bout 50 034 mots, autant dire que je n’avais pas besoin de plus. Impossible de décrire ce sentiment bizarre qui vous envahit quand vous voyez la page Winner s’afficher. J’étais dans la bibliothèque de lettres de mon université, je profitais d’un après-midi de libre pour venir à bout de ce challenge. Je suis sortie de là groggy de bonheur, de fierté et d’orgueil. Je l’avais fait. J’avais pondu un roman, une soixantaine de chapitres, trois personnages centraux, une intrigue complète, un univers créé, et un point final. C’était une première pour moi, et c’était bon ! La première chose que j’ai faite, à part sourire bêtement, fut de prévenir tous mes amis, mon copain et même ma famille – et en tant qu’accroc, j’ai tweeté ça bien sûr ! Je voulais partager ce bonheur avec tous.

Une formidable aventure que ce NaNoWriMo. J’ai fait quelques rencontres bien sympathiques, j’ai partagé et débattu sur le forum, et j’ai vécu une vraie expérience d’écriture. Mais plus qu’un roman bouclé – quoiqu’il reste la longue réécriture à faire – le NaNo a débloqué plusieurs choses en moi. Je suis ce qu’on appelle un écrivain à déclenchement rédactionnel (souvenez-vous de mes articles sur la génétique des textes) : pas de plan, pas de fiches de personnages, j’écris au fil de la plume, suivant plus ou moins une ligne directrice tracée dans ma tête. Ce qui peut poser problème lors du NaNo, car je crée de toutes pièces une histoire en même temps que j’écris, alors que d’autres ont déjà tout planifié et n’ont plus qu’à mettre en mot un tableau, un plan, un schéma. J’ai dû inventer des situations auxquelles je n’aurais jamais pensé si je n’étais pas pressée par le temps, mon intrigue a pris un tour étrange, presque une audace pour moi qui ait du mal à sortir des histoires assez plan-plan. Mon roman à la base, un peu policier, un peu thriller psychologique sur les bords, ne ressemble en rien à ce que je fais d’habitude, et au fur et à mesure, il s’est de plus en plus écarté de ma ligne de conduite traditionnelle : mes personnages ont pris le dessus et ont mené leur barque où ils le souhaitaient. J’ai goûté à un style d’écriture nouveau, et ma foi, cela ne m’a pas déplu. Je suis heureuse de me savoir capable de ça ! Bien que je n’aie pas pu me résoudre à faire mourir un de mes personnages – mon seul regret.

J’ai découvert de nouveaux ressorts de narration, trouvés par obligation et par hasard pour faire monter mon word count mais qui finalement se révèlent passionnants à écrire. En plus, cela casse une certaine monotonie qui commençait à prendre racine dans mon texte. J’ai mis en place des chapitres, certaines parties se répondent, j’ai même pu créer des jeux de mots, des réseaux d’images, et bizarrement, c’est grâce à l’écriture au kilomètre du NaNo. Je pense que c’est par ce défi personnel que j’ai pu en arriver là : devoir écrire, sans se poser trop de questions, sans pinailler sur des histoires de langue, de présentation de dialogues… ça a permis d’enlever des barrières que je m’étais mises moi-même. Et je n’exagère pas aujourd’hui en disant que je ne vois plus mon écriture comme avant. Avant, elle était synonyme de perfection, une perfection qu’on pourrait qualifier de castratrice, mais à présent, l’écriture est pour moi synonyme de liberté.

Je suis fière et heureuse d’en être arrivée là. Je ne pense pas que mon histoire, même réécrite avec rigueur, soit publiable un jour. C’est un bébé roman, produit d’une écriture pas encore assez mature. Mais ça restera le symbole du jour où je me suis délivrée de quelques carcans où je m’étais enfermée toute seule. Grâce au NaNoWriMo, je me suis découverte une écriture sans obstacles, une écriture qui pouvait être agréable.

Article publié conjointement sur le site des Plumes Asthmatiques.