Super biture, de Hugo L.

Depuis quelques années, on voit apparaître en France, une méthode d’alcoolisation rapide venue des pays nordiques et anglo-saxons : le binge drinking, connu en français sous le nom peu reluisant de biture express. C’est une chose qu’on a du mal à cerner car il ne ressemble pas à de l’alcoolisme habituel. Ce phénomène touche en majorité les jeunes : ils veulent s’insérer socialement lors de soirées, de fêtes et pour cela, l’alcool est devenu une norme. C’est quelque chose de ponctuel mais de terriblement violent : en plus des risques directes comme le coma éthylique grave, le binge drinker est souvent régulièrement victime d’accident (noyades, accidents de la route), de viols, de rapports non protégés, de bagarres.
C’est pour faire connaître la dangerosité de cette méthode qui se répand comme une traînée de poudre que les éditions Jacob-Duvernet et les Assureurs Prévention Santé se sont associés pour publier le témoignage d’Hugo. Hugo est un lycéen de 17 ans normal, en classe de terminal. La pression du bac l’agace quelque peu, il n’a pas la passion des études. Il mène une vie d’adolescent classique, sans nuages au tableau qui pourrait expliquer rationnellement sa dérive. Dans Super Biture, aidé par le journaliste Denis Blanchot, il nous livre le récit de cette descente aux enfers où chaque défonce en entraîne une autre. Il a fait quelques mauvaises rencontres aux mauvais moments, dans une période où une baisse de régime accompagnée de questionnement sur sa famille l’ont amené à sortir un peu. A boire, parce que c’est plus marrant, parce que sans ça on ne peut pas réellement profiter de la soirée. En quelques semaines à peine, il s’isole complètement et devient un expert dans les jeux d’alcool : la roulette russe, la piècette, le pim pam poum n’ont plus de secret pour lui. De plus en plus vite, de plus en plus fort, les virées alcooliques s’enchaînent. Pour lui, ce n’est pas un problème, ce n’est pas comme s’il était alcoolique, non il ne fait que profiter de sa jeunesse. Il prend des risques inconsidérés mais n’y réfléchit pas vraiment, il veut juste s’amuser. Jusqu’au jour où la réalité et la dureté de la vie reprendront le dessus avec force.
C’est un témoignage de vie à la Easton Ellis. La désillusion côtoie le cynisme dans ce récit à la première personne ; on revit les scènes, les rencontres, les discussions qui ont fait plonger la vie de ce jeune homme. Tout au long du livre, il nous fait part de ses réflexions, de ses sentiments : une sorte d’orgueil à faire partie d’un groupe et à ne pas avoir peur de l’alcool, une variante du courage mais côté obscur de la force. Après la longue descente à l’enfer du saoûlage direct et des gueules de bois, il faut se relever, par dépit, par obligation. Comme cela se passe-t-il, avec quel ton sarcastique faut-il prendre cette nouvelle épreuve ? Pour Hugo, la rémission passe aussi par ce témoignage, remarquablement bien écrit pour une oeuvre du genre, sans détour et sans faux-semblant.
« J’ai toute une série d’expressions pour ce genre de circonstances, quand je suis mis en difficulté. Pas des mots, non. Des sourires, des haussements d’épaules, des mimiques. Des attitudes qui décrispent l’atmosphère, qui détendent et dénouent les crises, qui signifient « laisse tomber, c’est OK, tout va bien ». Avec les variantes « au temps pour moi », ou encore « bien joué », « c’est entendu, n’en parlons plus »… Des heures de formations derrière moi à regarder les sitcoms américaines pour ados, et même des vraies sessions d’entraînement devant la glace rien que pour maîtriser le clin d’oeil sans qu’il soit lourdingue, ou bien le haussement de sourcil façon dessin animé. Pas plus idiot que les filles qui s’entraînent en regardant leur reflet danser, et utilisent parfois deux miroirs, un pour surveiller leur pas, l’autre pour contrôler les mouvements de leurs fesses. Et même pas idiot du tout. C’est l’atout idéal pour ce genre de situation où parler, justifier, expliquer sera pire, forcément pire… Il suffirait de la bonne mimique, sortie tout droit du magasin, du stock, des habitudes prises. »