L’homme qui avait soif, d’Hubert Mingarelli

J’avais été très touchée par ma première lecture d’Hubert Mingarelli avec Quatre soldats. Au détour des rayons d’une bibliothèque, j’ai voulu réitérer cette rencontre avec l’auteur, avec son dernier roman : L’homme qui avait soif.

L’histoire se déroule au Japon pendant l’occupation américaine. Hisao a été démobilisé. Pendant des mois et des mois il a travaillé dans la montagne, à creuser des tunnels pour fuir la guerre. A ses côtés, il y avait Takeshi, ami d’arme qui chantait chaque soir à son oreille pour lui permettre de s’endormir. Puis tout a basculé avec la bataille de Peleliu qu’Hisao ne peut s’empêcher de revivre chaque nuit.

De retour « parmi les hommes », Hisao s’embarque dans un voyage en train pour rejoindre la mystérieuse Shigeko, sa fiancée. Dans sa valise, il y a l’œuf de jade qu’il souhaite lui offrir pour la demander en mariage. Alors que le train s’arrête en pleine voie, Hisao descend pour boire car depuis la terre de montagne qui a englouti Takeshi, notre héros a une soif insatiable, qui le rendrait presque fou. Mais Hisao réalise trop tard que le train s’en va, et avec lui sa valise et l’œuf de jade.

On suit alors notre personnage dans ses péripéties pour retrouver sa valise, dans son monde peuplé des chansons de Takeshi.

Ce récit est très troublant. Il est à la fois terriblement simple sur la forme – les phrases sont faciles, la lecture est fluide, le rythme doux – mais aussi intense et puissant, riche. Encore une fois l’écriture de Mingarelli est magique et unique, à la fois dépouillée et poétique. L’auteur sait nous embarquer dans son univers doux et tragique : c’est la même recette que dans Quatre soldats, une sorte de mélancolie, mais sans aucun défaitisme. Ici le passé revient hanter notre personnage et nous montre un Japon meurtri par la guerre, mais aussi et surtout une amitié profonde qui laisse des traces au-delà de la mort.

C’est un livre très touchant, qui m’a laissée une impression très étrange : j’ai apprécié cette lecture car le style est vraiment à part et on ne le retrouve nul part ailleurs. Ça m’a vraiment transportée. On devient très proche de ce héros un peu énigmatique que l’on découvre par petites touches, il est sincère et un peu naïf, il se laisse porter par la vie sans lui courir après. La seule chose que l’on pourrait reprocher à l’auteur c’est ce « mystère Shigeko » qui est une partie de l’intrigue absolument pas exploitée. Mais cela ne change en rien l’élégance du récit et sa teneur, j’ai même trouvé que cela faisait partie du jeu.

Lire un Mingarelli, c’est rentré dans un univers à part, un cocon d’écriture, pas forcément doux, mais toujours beau même dans la tristesse et la violence. Vraiment un auteur à découvrir pour ceux qui ne l’auraient jamais lu. Un vrai coup de cœur.

Hubert Mingarelli, L’homme qui avait soif, aux éditions Stock, 16€.

Tangente vers l’est, de Maylis de Kerangal

« Le premier couloir est vide, tout le monde dort là-dedans quand pourtant c’est dehors que ça se passe, l’aube qui relève la forêt à toute allure, redresse chaque fût à la verticale, le sous-bois bleuté perforé de rayons chargés d’une lumière charnelle, la taïga comme un tissu magnétique que la nouvelle épaisseur de l’air module à l’infini. Hélène, captée par l’extérieur, traîne insensiblement – traverser la baie vitrée et atterrir dans les mousses, un roulé-boulé et puis l’infiltration (…). »

Tangente vers l’est, un livre que j’avais peur de ne pas aimer après l’immense réussite de Naissance d’un pont. Maylis de Kerangal a écrit ce petit livre lors d’un voyage dans le transsibérien organisé par France Culture, en compagnie d’autres écrivains. Des personnages à la russe.

 

De nos jours (enfin, j’en déduis que c’est de nos jours car à part un ordinateur et un ou deux téléphones portable, on pourrait très bien penser que l’histoire se déroule il y a plusieurs dizaines d’années de cela), il y a encore des conscrits, des jeunes appelés à l’armée russe sans qu’on leur demande leurs avis. Ils savent déjà ce qui va leur arriver : débarquer dans le vent et la neige sur une terre sibérienne inconnue, dans une base militaire vieillotte, obéir aux réglements, aux ordres sans moufter, se faire lyncher par les anciens, les plus grands, les plus forts, ne pas savoir quand est le retour, vivre à la dur, vivre sous les insultes peut-être, et les coups, à des milliers de kilomètres de sa famille. Et pour les emmener vers ce nouvelle horizon, il y a le transsibérien, cette ligne de train russe qui parcoure presque un quart de la planète, qui traverse des cités de charbons et des bleds gelés. Pour nous, c’est un train mythique signe d’aventure, pour la plupart des Russes, c’est le moyen le plus économique de voyager.

Aliocha fait partie de ces jeunes à qui on veut mettre de force un treillis militaire, mais depuis le début il veut tout sauf ça. Il aimerait s’enfuir, partir en ligne droite sans un regard en arrière, même si cela veut dire vivre dans l’illégalité, tout mais pas ça. Pas mourir gelé dans le permafrost, pas avoir le nez qui pisse le sang parce qu’on aura regardé un peu trop longtemps un mec plus baraqué que soi. Le jeune homme scrute et scrute encore les rails qui défilent, il essaie d’en faire une ligne de fuite par où s’échapper.

Puis au détour d’un wagon et d’une vodka, il rencontre Hélène, une Française qui a pris le transsibérien sur un coup de tête, alors que son couple avec un jeune homme russe bat de l’aile. Avec des gestes, lui et elle se comprennent : la détresse, la peur, l’appel au secours. La jeune femme va essayer d’aider ce garçon, mais c’est parfois difficile de s’accorder alors qu’on vient juste de se rencontrer… Un courte rencontre, riche en émotion et en péripétie.

 

Petit ce livre qui se dévore en une journée. Au début, j’ai été perplexe : cet Aliocha ne me semblait pas si intéressant que ça, j’avais vraiment du mal à situer l’époque de l’histoire. Mais petit à petit, on découvre que ce jeune homme est un vrai personnage russe, un mélange de plainte et d’angoisse, d’attachement et de timidité. Quant à Hélène, je l’ai tout de suite aimé. Leur relation éclair n’est pas simple et elle est gouvernée par des impératifs : fuir et ne pas se faire prendre.

C’est une jolie parenthèse dans le mode de vie russe et dans cet étrange rituel des conscrits (je suis bien contente après cette lecture que le service militaire ne soit plus obligatoire en France!). Il y a beaucoup d’émotion, même si c’est peu mis en relief, et un peu caché sous une mise à distance factice des personnages.

La plus belle chose de ce roman, c’est la description de ce mode de transport si particulier, ce train qui traverse les kilomètres, les décors et les fuseaux horaires. Voyager dans le transsibérien est depuis longtemps un de mes rêves – mon chéri, lui, préférerait l’Orient Express – donc j’étais par avance sure d’aimer au moins un peu ce roman. Mais j’ai été comblée : on a vraiment l’impression de vivre pendant une semaine dans ce train, entre la troisième et la première classe, entre les escales et le wagon restaurant. C’est une mécanique huilée qui assure le fonctionnement du transsibérien, j’ai beaucoup aimé la découvrir. Les longues phrases de Maylis de Kerangal, rythmées par les virgules, m’ont fait croire entendre le cliquetis des roues sur les rails, le ronflement du moteur.

Toutefois, ce n’est pas là le meilleur livre de l’auteure. Son style est léger mais parfois trop emphatique. C’est impossible d’aller à l’essentiel ici, mais ce n’est pas grave car les mots de Kerangal créent une atmosphère poétique. Cependant, un peu de concision, parfois, ne m’aurait pas déplu. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce texte qui m’a convaincu au fil des pages. Autant vous le dire, à la fin, j’ai foncé sur internet pour voir le prix des billets pour le transsibérien. Bref, je vous conseille cette lecture si vous avez envie d’évasion dans la toundra. Un petit roman russe assez agréable ma foi.

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, aux éditions Verticales, 11€50.