Mes études m’ont amené cette année à réfléchir sur les relations qui mêlent littérature et médecine, notamment à travers l’oeuvre de Marie Didier (là et là). Je me suis également penchée sur un autre auteur, médecin généraliste à Lyon : Jean Reverzy, décédé en 1959. J’ai choisi de partager avec vous son premier roman, sûrement le plus connu, Le Passage, qui a obtenu le prix Renaudot en 1954.
Dans ce livre sont mêlés des souvenirs exotiques, une fatalité évidente, et une description crue du monde médical. Le narrateur nous raconte le retour d’un vieil ami, rencontré en Polynésie. Celui-ci rentre en France « pour mourir ». Avec lui une vahiné sur le déclin et un foie bien mal en point. Il s’appelle Palabaud et est atteint d’une cirrhose bien qu’il ne soit pas alcoolique. A travers lui, c’est toute une vie en Polynésie qui renaît : la mer tant recherchée, la boue d’une île pas si paradisiaque que ça, les moeurs des aborigènes, les habitudes des Européens, la médecine d’Outre-Mer, etc. Mais en parallèle, le narrateur évoque les quelques mois de répit passés dans un hôtel lyonnais, face à sa propre déchéance, sa propre décrépitude. Sans s’apitoyer, Palabaud n’a pas d’espoir de guérison, il attend, presque avec patience, la mort longue à venir alors que ses joues se creusent, que ses côtes saillent. Son ami-narrateur, médecin, nous raconte les quelques menues mesures qu’il peut prendre pour alléger la douleur d’une existence en train de s’éteindre mais aussi sa relation désabusée avec ses patients et des couloirs d’hôpitaux trop fréquentés.
C’est un double voyage qu’opère ici l’auteur, à la fois un périple dans les îles polynésiennes mais aussi le compte-rendu d’une vie sur le déclin, sous le joug nécessaire du temps qui annihile toute volonté. On pourrait penser que ce dernier thème a été traité dans la littérature au point d’en enlever toute la substance, toutefois Reverzy a réussi ici a renouvelé son traitement, à travers une narration originale mais surtout un personnage hors du commun, à la fois attachant et source de pitié. Des mots simples mais une recherche dans le lexique bien mené nous offre une lecture à la hauteur de nos attentes. A la fois divertissante mais aussi touchante, l’auteur a réussi le pari d’allier originalité et sensibilité.
Je suis partagée après avoir fini ce roman, pas sur ces qualités littéraires bien sûr (c’est admirablement bien écrit) mais je n’arrive pas à me décider s’il dégage un pessimisme permanent de notre vie éphémère ou au contraire l’optimisme d’un homme qui n’a pas peur de la mort. C’est sûrement le mélange des deux qui fait toute la grandeur du personnage de Palabaud, le narrateur étant un peu trop fataliste pour me plaire. Palabaud a la conscience tranquille de sa mort prochaine, il finit doucement sa vie, peut-être pas de la meilleure manière qui soit, mais d’une façon qu’il a choisi, qu’il pense être la meilleure. De bonne grâce, dans un dernier sursaut d’espérance mais avant tout pour faire « comme tout le monde », Palabaud se plie à la demande de ses amis qui veulent qu’il consulte des médecins. Même si à chaque fois, le personnage répète les mêmes choses, le médecin ausculte de la même façon, les choses arrivent au même point, la médecine lui donne l’impression d’être moins seul et de ne pas mourrir pour rien. C’est un interlocuteur comme un autre, ce sera le témoin de sa mort.
C’est un beau livre, simple, divertissant et surprenant, avec lui vous passerez à coup sûr un très bon moment de lecture.
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