Miette, de Pierre Bergounioux

mietteMiette est le douzième livre (je n’ose pas dire « roman ») de Pierre Bergounioux, écrivain né en 1949. Cet ouvrage fait partie intégrante de son oeuvre littéraire où l’auteur n’a de cesse de réfléchir sur la temporalité de nos vies ; il traite également d’une mémoire rurale que les personnages seront les derniers de leur espèce à porter. Il s’inscrit dans le petit cycle de chroniques sur les livres « de la terre » que je met en place sur ce blog, et dans ce cadre il est précédé par l’article sur le roman de Jean-Loup Trassard, La Déménagerie, avec lequel il n’a rien à voir, si ce n’est le monde agricole. Dans le livre de Trassard, on voit une vie de paysan à l’oeuvre, qui avance, tandis que chez Bergounioux l’existence est mise sur pause et l’on revient en arrière pour exposer l’histoire de vie de quelques hommes et femmes hors du temps.

Mais ce n’est pas pour autant qu’une longue description que nous sert ici l’auteur, non : c’est une exploration dans un univers qui n’existe plus. Tout commence au début du XXe siècle, siècle marqué par les quelques spasmes de la guerre, siècle qui marquera la fin de la vie telle qu’on le connaît dans le Limousin, en Corrèze. On suit sur deux générations ce mode de faire et de pensée qui sera peu à peu remplacer par d’autres. Miette est le diminutif pas vraiment diminué de Marie une femme marié avec un homme qu’elle refuse, une femme qui s’efface en tant qu’épouse mais resurgit en tant que veuve et maîtresse des lieux, de la ferme, du bétail, des champs et du vent de la vallée. Quatre enfants, Baptiste, l’homme des bois à la personnalité double, Lucie la brue traditionnelle de la campagne, Octavie l’intellectuelle célibataire que le savoir va faire voyager, Adrien, le dernier de tous, parti quarante ans pour finalement revenir à ses racines. A travers les différents chemins qu’ont emprunté ces personnages on tisse la toile d’une vie séculaire qui n’a plus lieu aujourd’hui. Avec la fin du siècle vient la fin d’une époque qui a marqué pendant trois mille ans la marche à suivre.

« Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller. »

C’est le premier livre de Bergounioux que je lis et je ne dois pas vous cacher que j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire car il n’y a pas vraiment d’histoire. La fin proche du dernier membre de cette famille et deux photographies d’une Miette différente sont les points de départs d’une transcription pas du tout objective de ce passé, mais l’auteur ne fait pas pour autant preuve d’un passéisme larmoyant à la mode « c’était mieux avant ». Il constate seulement le travail du temps à l’oeuvre et les changements qui en découle. On a parfois du mal à savoir qui est cette voix narratrice, qui parle : l’auteur, un narrateur extérieur, un personnage ? Cette impression de flou est augmenté par de longues phrases par forcément claires entre réflexion et description. Il faut du temps au lecteur pour situer qui est qui. Mais à la fin de l’ouvrage tout est clair : c’est un puzzle qui se construit au fil des pages, l’auteur pratiquant des allers-retours temporels incessants mais suivant toujours un fil rouge auquel il revient régulièrement, celui de la chronologie.

C’est un livre vraiment à part, qui sort des sentiers battus. Je n’ai jamais eu à lire une écriture si personnelle, on sent que le temps qui a bouleversé la vie rurale en pratique depuis le fond des âges est un sujet qui touche particulièrement l’auteur. Il nous en donne un exemple flagrant et sensible : une famille pas comme les autres qui, bien plantée sur ces deux pieds en terre limousine, sera quand même doucement victimes du ravage du temps qui passe. A découvrir.

2 réflexions au sujet de « Miette, de Pierre Bergounioux »

  1. Très cher auteur, ce livre me donne des frayeurs. Veuillez svp ne pas me faire lire d’autres livre d’horreurs. sincèrement, le pape François amateur de femmes fruitées

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