Contre-visite, de Marie Didier

« Dans ce cabinet de banlieue, dans cette salle d’hôpital, dans le bidonville… la parole viendra.
Je l’écouterai sans entendre.
Et tout d’un coup elle sera entendue.
Et ce sera n’importe quand :
quand, le fauteuil repoussé, l’ordonnance rédigée et signée, la feuille de maladie tamponnée, je raccompagnerai, un peu lasse, déjà ailleurs, la malade à la porte.
Quand, vite, pendant qu’elle jette son blue-jean, cette fille si fraîche se mettra à parler comme si elle m’avait toujours connue.
Quand, le corps enfin caché, libérant ainsi la parole, cette vieille femme essoufflée agrafera pesamment la gaine sur son obésité flétrie. »

J’avais déjà évoqué Marie Didier grâce à son livre Dans la nuit de Bicêtre. Aujourd’hui je retente l’aventure pour mieux connaître cette auteure que j’aurai la chance de rencontrer dans quelques semaines. J’ai choisi, encore une fois, une de ses oeuvres la plus connue : Contre-visite. L’écrivaine est également, voire avant tout, un médecin, gynécologue pour être précis. Entre les consultations en cabinet, les visites au camp gitan ou les heures passées au dispensaire, ses journées de travail se suivent mais ne se ressemblent pas. Pourtant une constante reste : la relation à ses femmes de tous horizons, l’écoute parfois distraite qu’elle leur accorde, ses réflexions et ses doutes.

Pendant plusieurs mois, l’écriture a accompagné sa vie de médecin, comme un espace de confidence ou un exutoire. Elle passe en revue les différentes personnalités qu’elle rencontre dans cet espace de soin et d’assistance, elle évoque les situations cocasses ou tragiques dont elle a été témoin. Mais plus que le simple étalage de pathologies et de patients, ces contre-visites lui permettent de s’interroger sur elle-même : son attitude de médecin, sa prévenance envers les autres, sa vie sentimentale sont remises en question sous le regard de ces femmes qu’elle côtoie au quotidien, faisant sa place dans leur intimité.

A la fois pudique et sincère, l’écriture de Marie Didier peut paraître nombriliste, c’est vrai que c’est avant tout sa vie qui est la matière de cette oeuvre. Toutefois, elle partage sans réserve avec nous ce qui pourrait rester caché, rester secret. Elle nous fait assez confiance pour oser dire et raconter ce qui fait son quotidien, ses pensées. Ecriture sensible, elle emploie toujours le mot juste, celui qui résonne, celui qui fait vibrer, et c’est la vérité nue qu’elle nous donne à voir dans tout ce qu’elle a de plus beau et de plus doux. On sent à la lecture l’écrivaine froncer les sourcils d’amertume ou d’agacement, esquisser une sourire en coin ou soupirer de fatigue : c’est un moment très fort, une sensation qu’on retrouve dans bien peu d’autres livres.