L’attrape-coeurs, de J.D. Salinger

51fv05tvm3l-_L’attrape-coeurs, quel livre énigmatique. Personnellement, je ne sais rien de l’auteur, J. D. Salinger, je ne me suis jamais renseignée. Je sais juste que c’est un livre qui fut important pour plusieurs personnes : lu à l’adolescence, il résonne encore dans leur vie d’adulte. Sur la sobre mais belle édition Pocket, il n’y a même pas de quatrième de couverture. Ayant réussi à ne jamais me faire spoiler, je suis partie complètement à la découverte en achetant cet ouvrage, je ne savais pas du tout où je mettais mes pieds.

L’histoire est difficile à raconter, dans un sens il n’y en a pas vraiment, mais c’est un roman fabuleux. Le héros, le narrateur est un jeune garçon qui s’est encore fait viré de son école. Encore une fois, il sait qu’il va décevoir ses parents, il aura sûrement le droit à l’école militaire maintenant.

Dans trois jours, il devra quitter pour toujours ces murs. Dire au revoir à ses camarades, à ce garçon étrange avec qui il partageait sa chambre. Mais il décide de tout quitter maintenant, il lui reste trois jours de répit avant que la nouvelle se sache dans sa famille, il veut en profiter. Remercier ce professeur qui l’a aidé, retrouver quelques filles, aller en ville, boire un verre, acheter un CD pour sa petite sœur adorée. Bref, passer du bon temps, malgré son coup de blues et sa lassitude, sa démotivation et son rire gris.

L’histoire en elle-même ne paie pas de mine, surtout racontée en ces termes, mais elle représente une tranche de vie importante pour ce jeune homme, comme un point de bascule ténu. Il a une vision du monde et surtout des personnes très particulières, forgée par l’observation, la critique et un franc parler qui surprend à la lecture. En effet, le narrateur, c’est lui, et il ne fait pas d’effort de langage particulier pour s’adresser à nous. C’est un style assez oral ou peu travaillé, c’est selon comme on souhaite le voir, avec ses tics de parole, ses raccourcis linguistiques. Sur ce point-là, je trouve la traduction française assez désastreuse, mais si on en fait abstraction, on découvre vite que ce style est tout à fait naturel et représente parfaitement ce personnage si brumeux, si adolescent, qui entre avec difficulté dans la vie d’adulte responsable.

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J. D. Salinger

Un genre de roman d’apprentissage, même si le héros n’apprend que peu de choses, si ce n’est mieux se connaître. C’est un petit livre dont la lecture se fait assez facilement et rapidement si on s’y laisse plonger. Je suis contente d’avoir découvert ce livre dont on m’a tant parlé. Il donne à réfléchir et à sourire, il nous emmène dans une fugue à la recherche de réponse, pour fuir une certaine réalité.

J. D. Salinger, L’attrape-coeurs, Pocket (4230), traduction par Annie Saumont, 5€30.

Une éducation libertine, de Jean-Baptiste Del Amo

del-amo-une-education-libertineJean-Baptiste Del Amo est un auteur qui figure dans ma PAL depuis longtemps. Et j’ai enfin trouvé le temps et l’occasion de lire son premier roman : Une éducation libertine.

Ce livre nous transporte en 1760 dans un Paris à la fois palpitant et répugnant. Gaspard, un jeune homme, a quitté la ferme familiale de Quimper pour venir tenter sa chance à Paris. Très vite, il est comme hypnotisé par la Seine, pour laquelle il éprouve à la fois de la peur, du dégoût et de l’amour. Gaspard est malin, il sait rester à sa place mais ne manque pas non plus de culot. Il trouve très vite un travail. Mais cela ne lui suffit plus, il veut s’élever, ne pas rester au ras du sol. Gaspard va découvrir toutes les facettes de la capitale : la misère, les bordels, la faim, la mort mais aussi les raffinements des salons parisiens, la vie mondaine, l’amour bien caché derrière les portes des garçonnières. Il va tomber amoureux, presque obsédé, avant de perdre celui (oui, oui, « celui ») qu’il croyait être son âme sœur. Manipulateur, il va très vite apprendre à l’être, mais peut-on vraiment tout sacrifier juste pour réussir ?

« Rien de cette vie-là n’avait prédisposé le jeune Gaspard à devenir cet homme à la démarche assurée qui descendait vers la Seine et s’égarait dans le faubourg Saint-Denis. Sauf le cri des porcs, subi nuit et jour durant tant d’années que l’infect vacarme parisien devenait soudain préférable au bruit de Quimper. Seuls les cochons avaient une incidence sur cet instant. Rien d’autre n’aurait su lier Quimper à Paris. Il était même incongru qu’il possédât un souvenir de cette vie, comme si Gaspard avait subtilisé la mémoire d’un autre. Il n’était pas né à Quimper. Il était venu au monde rue Saint-Denis, déjà âgé de dix-neuf ans. Quimper n’était ni plus ni moins qu’un héritage. Gaspard marchait vers la Seine comme on vient à la vie, dépouillé de toute expérience. Le sentiment de vide qui l’habitait précipitait en lui Paris toute entière, appelait la ville à le remplir. Gaspard n’éprouvait aucune crainte à se sentir ainsi amputé d’une partie de son être, juste un étonnement, une reconnaissance envers rien ni personne, le désir de s’offrir à la ville, d’être habité par elle. Paris était une chance inattendue, et Gaspard sentait couver la possibilité d’un nouvel horizon. »

C’est un vrai roman d’apprentissage de plus de quatre cents pages que nous offre là Jean-Baptiste Del Amo et j’avoue ne pas avoir regretter me plonger dans cette lecture à corps perdu. Le personnage de Gaspard est vraiment attachant (même si on le désapprouve parfois), on a de la curiosité pour ce garçon qui a une intelligence sociale parfaite pour le Paris du XVIIIe siècle, qui n’a pas peur des sacrifices si cela peut lui servir. Et même si on trouve parfois qu’il va trop loin, qu’il se met en danger, on le suit tout de même car au-delà de voir son avancée dans le monde, on découvre à ses côtés un Paris d’un autre siècle. Et c’est vraiment comme si on y était. L’auteur a un art de la description précise et sensorielle : on sent Paris, on entend Paris, on voit Paris, on touche Paris et même on goûte Paris. L’effroi, le dégoût, ce n’est pas le personnage seul qui le ressent mais le lecteur également ; on ne peut qu’avoir de l’admiration face à cet art de raconter le détail tout en nous captivant.

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On côtoie une fresque de personnages très différents les uns des autres : du libertin à la putain, de l’arriviste à l’honnête travailleur, de la jeune fille propre sur elle au père inhumain. L’auteur n’y va pas de main morte et brosse des portraits sévères dont on ne doute jamais car on sent l’humanité derrière cette couche de crasse ou d’hypocrisie.

Sur la forme, les paragraphes sont longs, il y a peu de retour à la ligne et les quelques dialogues sont directement insérés dans le texte. Ce qui fait des blocs de mots pas forcément aguichants à l’œil. Toutefois, je ne peux que vous exhorter à aller au-delà de l’épaisseur de ce livre et à vous plonger dedans, car une fois commencée cette lecture, une fois que vous aurez un peu fait connaissance avec Gaspard et que vous vous serez habitué au style si particulier de l’auteur, vous ne pourrez que tourner les pages sans retenue pour connaître la fin de cette histoire. J’ai vraiment été très surprise par ce premier roman parce qu’il dénote un travail énorme et un talent certain. Cette immersion dans Paris m’a vraiment faite voyager et m’a bouleversée. Je ressors de ce livre avec peine et quand j’y repense, c’est toujours avec émotion et plaisir. Bref, vous l’aurez compris, lisez Une éducation libertine !

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Jean-Baptiste Del Amo, Une éducation libertine, aux éditions Gallimard, 19€. (Existe en poche.)

Emma, de Jane Austen

On ne présente plus Jane Austen, véritable figure de la littérature anglaise. Auteure réputée, admirée, adulée, elle s’est fait connaître grâce à ses critiques sociales mordantes et ironiques, son humour parfois décalé mais toujours british. Le réalisme de ses textes et l’évolution de ses personnages dans un monde aux codes et à l’étiquette strictes ont séduits des millions de lecteurs. Aujourd’hui, je vais vous parler d’un de ces romans les plus aboutis et pourtant pas aussi connu qu’Orgueil et Préjugés ou Raison et Sentiments : Emma est publié en décembre 1815, à 2000 exemplaires tout d’abord. L’accueil qui lui est réservé est mitigé, comme le prévoyait Jane Austen qui disait de son héroïne « en dehors de moi, personne ne l’aimera vraiment ». Toutefois, la critique s’accorde à dire qu’ici est né un « nouveau genre de roman ». Satire sociale, personnages touchants, réalisme et soucis du détails, et une écriture fine… voilà les clés du sccuès de cette ouvrage.

« Emma Woodhouse, belle, intelligente, douée d’un heureux naturel, disposant de larges revenus, semblait réunir sur sa tête les meilleurs dons de l’existence ; elle allait atteindre sa vingt et unième année sans qu’une souffrance même légère l’eût effleurée. » Elle habite seule avec son père : sa mère est décédée quand elle était enfant, sa soeur aînée ainsi que sa gouvernante et amie se sont toutes les deux mariées et ont quitté la résidence familiale d’Hartfield. Pour combler son ennui, Emma forme des couples dans son entourage restreint : jouer l’entremetteuse est son passe-temps favori alors qu’elle-même refuse de se marier un jour. Mais Emma est jeune et naïve, à plusieurs reprises, il lui arrive de se méprendre sur les sentiments des autres. Elle doit apprendre alors à mieux connaître le coeur de ses amis mais aussi le sien. Connaître les émotions de l’être humain est un apprentissage difficile et parfois trompeur. Les quiproquos et les malentendus sont nombreux ; la bienséance ordonnée ne fait que les rendre plus piquants. La jeune fille ne réalise pas encore que faire l’entremetteuse n’est qu’un moyen détourner de vivre l’amour et le bonheur conjugal, par procuration. Elle doit encore grandir, mûrir pour devenir une femme accomplie.

Les rangs sociaux, toujours présents dans les romans de moeurs de Jane Austen, sont ici extrêmement mis en avant, par la volonté de l’héroïne même : pour elle, au même titre que l’accord entre deux sensibilités, un mariage doit respecter ces rangs et dans l’idéal même, élever socialement la demoiselle. Emma vise ce but avec ténacité, quitte à passer à côté de signaux pourtant évidents sur les réels sentiments de ses amis qui eux, voient les choses autrement. La jeune fille, même si elle se comporte de façon exemplaire en société, ne brille pas : c’est un personnage en demi-teinte, sa vie n’est pas très attrayante, elle ne vit pas de splendides aventures de coeur, son existence est simple et douce. Elle essait de rattraper ses bévues, parfois gauchement, procède à des interprétations psychologiques, souvent ratées. Certains lecteurs la trouvent ennuyeuse, trop naïve ; pour ma part, je la trouve attendrissante. Je lui pardonne sa jeunesse et donc cette expérience qui lui manque cruellement. Emma saura au final apprendre de ses erreurs, la jeune fille devient femme : je pense que c’est cette évolution le vrai sujet du roman, l’épine dorsale.

Côté écriture, j’ai toujours préféré celle de Jane Austen à celle des soeurs Brontë (que l’on met toujours dans le même sac chez les lecteurs du dimanche comme moi. Non, ne me lapidez pas !) : moins de description, plus « d’action psychologique », un réalisme qui n’est pas pesant mais précis. Arthur Conan Doyle dira même que c’est le premier grand roman policier sans cadavre ! Le livre est partagé en une multitude de petits chapitres, de moins de 3 pages en général : certains n’apprécieriont peut-être pas cette lecture fractionnée, pour ma part, ça m’a plutôt arrangée, je déteste devoir m’arrêter entre deux phrases ! C’est un livre qui sent bon la campagne anglaise sous la pluie, les convenances, le thé, le feu de la cheminée ; je l’ai dévoré. On y rencontre une multitude de personnages, certains attachants, d’autres agaçants voire détestables : on voit bien ici tout le spectre d’humeur et de caractère du genre humain en société. C’est une agréable promenade, peut-être pas aussi fraîche et revigorante que d’autres lectures, mais néanmois bien sympathique ; vous prendrez bien un biscuit avec votre thé ?