Passer l’hiver, d’Olivier Adam

Je vais vous parler d’une déception qui m’a surprise (et qui va peut-être vous surprendre, qui sait?). Je vais vous parler d’un recueil de nouvelles dont je ne me souviens pas beaucoup tellement il est monotone et banal dans son thème : Passer l’hiver d’Olivier Adam.

J’ai le vague souvenir d’avoir lu il y a longtemps, Je vais bien, ne t’en fais pas, qui ne m’avait pas laisser une impression impérissable, je suis donc partie sans a priori sur cette lecture. Au premier abord, je pensais que ça allait me plaire : l’hiver ou l’époque de l’année où on se laisse aller à la rêverie, à la mélancolie, à la tristesse, à la nostalgie, une époque où l’on est spectateur de la nature, une époque où l’on perd nos repères. Et cela est très bien dépeint par Olivier Adam à travers des personnages très différents et des histoires diverses : un chauffeur de taxi réconforte une femme avec une urne funéraire, une mère sacrifie son réveillon de Noël pour achever un travail pénible seule dans son bureau… Il y a parfois de l’alcool, parfois de la neige mais toujours des sourires tristes.

Première nouvelle, deuxième nouvelle, ça allait. Je trouvais ça poétique, je trouvais ça beau, j’ai vite compris qu’Olivier Adam avait un style bien à lui (et un rapport aux virgules très bizarre!). J’ai juste regretté cette maudite habitude de faire des titres nébuleux, et des entrées in medias res tout aussi peu claires. Mais bon, c’est la mode de faire dans le brouillard.

J’arrive à la moitié de ce petit livre, et là je dois vous avouer que j’étais bien embêtée : ce mec, il vend des milliers de livres, il est à mon programme universitaire, on voit bien qu’il a du talent… mais franchement, c’est ennuyeux. Oui, ces tranches de vie sont bien écrites, sont intéressantes, mais elles sont toutes un peu clichées : c’est un résumé condensé de tous les thèmes de société, de famille que l’on trouve dans les romans. Mais surtout, le plus gênant, c’est cette impression de lire toujours la même chose. A la limite, on trouve parfois une lueur d’espoir par-ci, par-là dans les yeux des personnages, mais c’est la seule chose qui varie. La forme est différentes, les actions ne sont pas les mêmes, mais question sentiment, on tourne en boucle, tel un disque rayé.

Des hommes et des femmes silencieux, moroses, en questionnement. Bon, c’est un peu surfait tout ça, non ?

Cette chronique manque un peu d’arguments, c’est vrai : elle est complètement subjective. Ce recueil est bien écrit, soyons sincère, mais il m’a laissé complètement insensible et même plutôt blasée. Je retenterais l’expérience Olivier Adam un jour, pour voir si ce n’est qu’une fausse impression… mais cette fois, j’aurais des a priori !

 

Olivier Adam, Passer l’hiver, Point (P1364), 6€30.

L’Obscure ennemie, d’Elisabetta Rasy

Ça faisait longtemps que j’avais envie de replonger dans la littérature italienne après la version bilingue d’une œuvre de Buzzatti : Le K. J’ai donc pris un peu au hasard dans les rayonnages de ma médiathèque et je suis tombée sur un livre d’Elisabetta Rasy, L’Obscure Ennemie.

 78342736_o

Cette obscure ennemie c’est la maladie, un cancer des poumons, qui emporte sa mère en février 2000. Sa fille découvre alors que celle qu’elle trouvait si vivante, si rayonnante, si forte peut se révéler vulnérable. La maladie s’est insinuée entre elles et a provoqué une cassure entre ces deux femmes : d’un côté la malade qui ne veut pas qu’on l’aide, qui tient à ses gentils médecins et que la douleur rend par moment méchante, de l’autre sa fille qui comprend le verdict de l’oncologue et fait tout pour prendre soin d’elle, au mieux.

Tout a commencé de façon si douce : un simple examen de routine, une radio des poumons pour surveiller les traces d’une vieille tuberculose qu’elle avait eu enfant. Elle le signale à Elisabetta au détour d’une conversation. Pour les deux femmes, c’est une chose encore sans importance. Mais quand la maladie est révélée, le monde se renverse. La mère, qu’on aurait pu croire éternelle, n’accepte de suivre les traitements que quand elle veut et de ne voir que les médecins qu’elle aime. La fille, elle, court après les avis de spécialistes reconnus, court de cliniques très réputés aux laboratoires privées, elle pose le pour et le contre de chaque décision pour contrer un mal qui n’est pas le sien. Cette différence d’attitude va créer un réel malaise entre la narratrice et Madame B., sa mère, un malaise qui va s’exprimer dans un silence gêné.

C’est toute une vie qui bascule : on doit apprendre un nouveau vocabulaire, arpenter des lieux à l’odeur de désinfectant qu’on préfère ne pas fréquenter en temps normal, et apprivoiser les nouveaux codes des relations humaines, entre pitié, inquiétude, souffrance et compassion. La colère a à peine le temps de surgir car très vite, cette mère que l’on n’a jamais vu vieillir nous apparaît à la lumière de ces quatre-vingts ans. Quatre-vingts de souvenirs, d’une vie de femme passée sous silence au profit des vestiges de sa vie de mère. Pour Madame B., cette maladie est l’occasion d’un voyage intérieur que sa fille tente de décrypter, faisant rejaillir des images des moments passés ensemble. Mais les mots ne semblent plus suffir à la narratrice : la douleur de la maladie va au-delà, c’est un sentiment complexe qui serre le cœur mais empêche les larmes de couler, un sentiment avec lequel il faut apprendre à vivre, un sentiment qu’il faut accepter.

Ce récit est autobiographique et rétrospectif : l’écriture permet souvent de mettre les choses à plat par le pouvoir des mots, qui jaillissent alors plus facilement de la plume, des mots que l’auteure a peut-être peiné à trouver sur le moment, auprès d’une mère aigrie par la souffrance physique.

Expérience personnelle, la maladie est traitée avec pragmatisme, les détails pratiques qui jalonnent cette expérience sont partagés avec nous, et de façon touchante. Toutefois l’auteure parvient tout à fait à doser cela et ne tombe à aucun moment dans le pathétique, la tristesse à l’excès. Le temps qui est passé entre les événements racontés et l’écriture de ce livre a sûrement permis à Elisabetta Rasy de dire les choses de façon posée, et d’arriver à analyser des éléments encore confus à l’époque. J’espère que cela lui a permis une meilleure compréhension du comportement de sa mère et du sien durant cet épisode douloureux.

Je ne peux pas vraiment comprendre quelle souffrance peut causer la maladie à l’entourage du malade, je n’ai encore jamais été confronté à ce cas de figure. Mais j’imagine très bien que la peur, la colère peut nous modifier profondément, et modifier notre rapport à l’autre. Ce n’est sûrement pas une situation facile à gérer : la narratrice, elle, a décidé de faire le maximum pour sa mère, même si celle-ci n’était pas forcément d’accord.

Alors que l’histoire contée est très intime, l’auteure arrive à faire la part des choses : son ton est posé, ses mots justes. Ce texte se lit très facilement au niveau de la langue (d’ailleurs, bravo pour la traduction !) : ce sont les émotions évoquées de façon puissante, qui nous embarquent, au point parfois d’en devenir difficile. Toutefois, ce n’est pas du tout une écriture tragique, ni à l’inverse une écriture de compte-rendu. Non, c’est vraiment une écriture autobiographique : une personne revient sur un moment particulièrement fort et à l’importance particulière pour lui. Elisabetta Rasy fait preuve d’un style clair mais aussi travaillé : tout ce qui est dit l’est pour une bonne raison, mais rien de ce qui pourrait nous faire comprendre au mieux le ressenti de cette mère et de cette fille n’est épargné.

Un livre à la fois fort et doux, beau et violent. Une écriture de la maladie, mais surtout de la vie, très juste que je vous conseille.

Cette radio constituait apparemment un examen de routine : le médecin affable que ma mère vénérait me connaissait et il m’aurait avisée s’il y avait eu quelque chose d’alarmant ; tout du moins, il aurait pressé ma mère, ce dont il s’était abstenu. Cependant je lus et relus le compte-rendu et appris par cœur l’expression : lésion dyscaryotique.

Par hasard, je rendis visite à une vieil ami médecin et psychanalyste dans l’après-midi et, tandis que nous parlions de tout et de rien, je lui racontai les problèmes de ma mère sur le ton affectueusement et ironiquement paternaliste qu’on emploie pour évoquer les petits vieux de la famille et leurs ennuis, et je mentionnai la radio en lui répétant les mots du compte-rendu. La conversation s’arrêta d’un coup, comme une voiture qui fait une embardée et s’écrase contre un mur. Tu ne sais pas ce que cela veut dire ? m’interrompit-il. Puis il me l’expliqua.

Elisabetta Rasy, L’Obscure Ennemie, traduction de Nathalie Bauer, aux éditions du Seuil, 17€20.