Femmes de dictateur, de Diane Ducret

[…] Dans la route pour la conquête du pouvoir, les dictateurs ont très vite compris qu’ils n’avanceraient guère sans gagner avant tout les femmes à leur cause, sans les unir à leur destin. Et pour conquérir le pouvoir et s’y installer, chacun d’eux va s’appuyer sur les femmes. Filles de noce ou grandes bourgeoisies intellectuelles, simple passade ou amour passionné, elles sont omniprésentes dans la vie des dictateurs. Ils les violentent ou les adulent, mais se tournent systématiquement vers elles. […] Ils sont cruels, violents, tyranniques et infidèles. Et pourtant, elles les aiment. Trompées avec d’innombrables rivales, sacrifiées à la dévorante passion de la politique, épiées, critiquées, enfermées, elles résistent. Parce qu’ils les fascinent. Parce qu’ils ont besoin d’elles.

9782262034917Les romans, c’est très bien, mais de temps en temps, j’aime sortir de ce genre fictionnel. Toutefois, j’apprécie toujours autant qu’on me raconte des histoires, et c’est encore mieux si ce sont celles de personnes ayant réellement existées. Femmes de dictateur de Diane Ducret était donc un choix idéal. En quelques chapitres, on découvre les femmes qui ont aimé ou ont été aimées par ces grandes figures tyranniques qui ont peuplé notre Histoire au siècle dernier. Il y a toujours une curiosité malsaine pour l’intimité, la vie privée de ces hommes qui ont bousculé le destin de centaines, de milliers de personnes. On s’imagine pouvoir mieux les comprendre – sans les excuser pour autant bien sûr.

Dans cet ouvrage, Diane Ducret nous entraîne dans l’ombre d’Antonio Salazar, de Joseph Staline, ou de Mao. Elle nous fait découvrir les amantes, les épouses, les maîtresses, les relations plus ou moins publiques, plus ou moins importantes, plus ou moins partagées de ces dames qui ont fait partie de l’Histoire, à leur échelle. De l’incontournable Eva Braun, à la discrète Catherine Bokassa, en passant par l’orgueilleuse Elena Ceausescu, Diane Ducret nous fait faire un tour assez large de toutes ces femmes que l’on peut trouver proches du pouvoir : celle qui ignore tout, celle qui aime jusqu’à la mort, celle qui profite du statut de son mari, celle qui préfère le secret. Le point commun ? La passion : l’amour de l’un pour l’autre, mais aussi la haine, l’obsession.

evaDiane Ducret a écrit ce livre avec beaucoup d’intelligence. Chaque chapitre est la fois court et complet. En quelques pages, on fait le tour de toutes les femmes qui ont gravité autour d’un homme. L’auteure a fait le choix de ne pas respecter un ordre chronologique stricte, en faveur d’une construction plus judicieuse qui incite à la lecture. On arrive à un moment clé, par exemple, qui finit presque en cliffhanger, pour repartir dans le passé sur les origines d’une rencontre. C’est très habile et très judicieux : cela empêche le lecteur de s’ennuyer devant ce qui pourrait paraître comme une énumération des faits.

Mais dans tous les cas, c’est bien plus qu’un simple listing d’informations biographiques. Diane Ducret a réalisé là un travail de fourmi, partant à la recherche des lettres, des témoignages, des conversations, des journaux intimes pour rentrer plus en avant dans la vie de ces hommes et femmes. Comprendre leurs motifs, leurs pensées, leurs désirs, leurs amours, voilà une vraie partie du travail de l’auteure qui redonne une certaine humanité à ces êtres si éloignés de nous, qu’on ne connaît qu’à travers des pages de livres d’Histoire pour les plus fameux d’entre eux.

ob_54f2a8_imageAttention, nous ne sommes pas là pour revenir sur la vie politique de ces dictateurs et leurs actes. On ne remet pas ça en cause. Non, c’est l’autre versant de leur existence que Diane Ducret cherche ici à percer : le premier coup de foudre, le grand amour, le mariage par raison plus que par envie, l’amante délaissée, la jalousie suprême. Tout ce qui fait battre les cœurs plus fort (trop fort parfois…).
Ce n’est pas un livre d’éloge sur l’amour ou la passion, mais plutôt sur ses failles. Il n’en reste pas moins très intéressant d’en savoir plus sur ces hommes si lunatiques, parfois tyranniques, parfois charmants, parfois cruels, parfois attachants, mais toujours puissants. De plus, les chapitres sont agencés de façon réfléchie : le chapitre sur Lénine, par exemple, précède celui de Staline, et historiquement, cela est plus facile à comprendre pour le lecteur.

Femmes de dictateur est un opus qui allie rigueur historique et écriture sensible. C’est un livre à la fois instructif et intelligent qui nous éclaire sur ces presque inconnues qui ont pourtant laissé une marque dans l’Histoire. Un deuxième tome est sorti il y a plusieurs mois, que je vais bien sûr m’empresser de lire.

Diane Ducret, Femmes de dictateur, aux éditions Pocket (14891), PRIX

Alors voilà : les 1001 vies des urgences, de Baptiste Beaulieu

Grâce à la générosité du blog My little discoveries (que je vous conseille!), j’ai eu droit à un exemplaire dédicacé d’Alors voilà : les 1001 vies des Urgences de Baptiste Beaulieu, à qui l’on doit le blog du même nom.

Ce petit livre nous retrace une journée dans la vie d’un jeune interne qui jongle entre les étages, urgences, soins palliatifs. Dans une des chambres, un patiente s’impatiente : elle est au stade terminal et attend son fils coincé dans un aéroport à cause d’un volcan capricieux qui assombrit le ciel. Pour lui faire passer le temps, notre héros va lui raconter des histoires, des anecdotes qui ont eu lieu dans l’hôpital. Drôles, émouvants, touchants, ces récits nous montrent à quel point travailler dans ce genre de lieu peut causer de vrais ascenseurs émotionnels. On y voit le pire comme le meilleur, on y voit la vie naître et renaître, ou au contraire la mort s’inviter, en prenant son temps ou sans prévenir. Soigner, guérir, c’est parfois jouer à la roulette russe : on a beau faire de son mieux, il y a tellement d’éléments incontrôlables qui rentrent en jeu…

L’auteur fait également de son livre un lieu où se réunit ce microcosme si particulier de l’hôpital : la chef persuasive, l’autre toujours calme, l’infirmière de bonne humeur, l’interne qui fait de son mieux pour survivre aux épreuves quotidiennes, mais aussi les patients, malades heureux de partir, accidentés de se rendant pas compte d’à quel point leur vie va changer, famille en attente d’un mot du médecin qui va tout bouleverser, mauvais menteurs, etc.

Image tirée du film Hypocrate.

Ce livre va plus loin que de simples anecdotes mis bout à bout pour satisfaire une sorte de consommation malsaine du lecteur. L’écriture ne se réduit pas au fait, n’essaie pas de faire dans le comique ou le tragique, elle est simplement juste et pleine d’humanité, voulant montrer à chaque page l’ambivalence et la complexité des sentiments qui peuvent régner dans les couloirs d’un hôpital. On y côtoie le bon comme le mauvais, le miracle et l’injustice, les rires et les pleurs. C’est tout un petit théâtre de personnages hauts en couleurs ou blancs de transparence qu’on rencontre ici et que Baptiste Beaulieu met en scène comme personne.

Baptiste Beaulieu, Alors voilà : les 1001 vies des urgences, Le Livre de Poche, 7€10.

Flic, de Bénédicte Desforges

Vous l’avez peut-être remarqué, en ce moment, je suis en plein dans les témoignages de toutes sortes, même si j’essaie tant bien que mal d’y glisser une fiction par-ci par-là pour garder un maximum de diversité sur ce blog. Aujourd’hui encore, c’est donc encore le témoignage qui sera mis en avant, celui d’une femme gardienne de la paix, Bénédicte Desforges, qui nous fait lire dans Flic quelques anecdotes sans concession de la « police ordinaire ».


Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais avec cet ouvrage, mais sûrement à quelque chose qui sorte un peu plus de l’original que ce que j’ai pu y lire. L’auteure égraine au fil des pages quelques courtes histoires, des chroniques de la vie de tous les jours d’un petit policier d’Île de-France. Il me semble que sa volonté a été de casser l’image du flic bedonnant à l’activité cérébrale réduite, ce « sale con » qui file des prunes pour un rien. Merci Mlle Desforges pour ces a priori sur la façon de penser des non-flics, car bien sûr on pense tous pareils, on vous dévalorise, ça va de soi. Autant dire que ça commençait mal pour moi.
Je vous l’accorde, ce n’est pas du tout un métier facile, c’est dangereux, on y voit des choses dures, on s’y ennuie parfois, on s’engueule avec sa hiérarchie souvent. Pour ça, OK, le portrait est bien brossé. Mais entre deux moments d’émotion un peu cliché et de rébellion contre la justice et la politique françaises, elle raconte ses découvertes de macchabées,  d’overdoses, ses vols pris en flagrant délit, ses rondes bien longues, ses sécurisations de périmètre, les déboires parfois drôles de ses collègues. Tous ces petits moments à part qui jalonnent la vie d’un officier de la police.
Ce n’est pas forcément mal écrit, ça se laisse lire, toutefois l’écriture est désespérément pauvre malgré les quelques maigres envolées lyriques que l’écrivaine tente parfois. C’est un témoignage sans détour sûrement, mais sans surprise et presque sans saveur, tant l’auteur s’est efforcé d’adopter un ton désabusé en rappelant bien, de façon discrète mais certaine, que maintenant, elle ne fait plus partie de ce milieu parce que, parce que et parce que.
Je ne renie nullement toutes les qualités nécessaires et les mérites nombreux du corps de police. Par contre, concernant leur pendant littéraire dans cette oeuvre, je les cherche encore.

Plaisir d’humour, d’Alphonse Allais

Alphonse Allais, considéré par certains comme l’un des plus grands conteurs français, est connu avant tout pour son humour acerbe voire absurde, peuplé de calembours et de jeux de mots. Aujourd’hui, je vais vous parler d’un recueil qui regroupe une quarantaine de ses petites histoires.
Ce livre, je l’ai trouvé au fin fond de mon CDI de collège le jour du grand débarras. Il a à son compteur 50 ans de lecture par des élèves boutonneux et maladroits qui l’ont feuilleté négligemment. Les pages jaunies et cornées, la couverture vieillie et déchirée, il n’est pas en bon état mon recueil. Qu’importe, je veux lui donner une seconde vie, et pour cela, rien de mieux qu’une lecture passionnée.
Car on ne peut être qu’émerveillé face à cette écriture de l’insolite et de l’anecdote : « Il y a des personnes sur terre auxquelles, point comme à d’autres, arrivent les plus saugrenues aventures. Et le plus terrible, dans leur cas, c’est que, loin de songer à plaindre les pauvres gens, tout le monde s’accorde à rire de leurs mistoufles. »
Le livre est composé de multiples contes, très courts, quarante au total. Une lecture fragmentée donc, idéal pour les trajets en bus ou métro jusqu’à la fac, jusqu’au bureau, ou les longues minutes passées dans les salles d’attentes variées. Les thèmes abordés sont très divers, le genre humain étant étudié sous toutes ses formes, notamment les plus loufoques. Cela va des soldats culs-de-jatte, aux cousins germains jumeaux en passant par les collectionneurs d’haricots. On retrouve bien sûr certains des pastiches très célèbres du critique d’art Francisque Sarcey, une des cibles favorites de notre auteur. C’est une mise en bouche très agréable pour découvrir l’écriture si particulière d’Allais, une écriture dont on manque aujourd’hui, la presse acerbe ne montant plus à ce niveau de nos jours. Très léger, très humoristique, ces contes ne souffrent pas de lourdeur comme on pourrait le craindre et cela est sûrement du au judicieux choix d’une narration courte.
Il y a vraiment peu de choses à rajouter pour ce recueil simple et vivifiant, un bon remontant pour ceux qui voient déjà s’approcher à grands pas la fin de leurs vacances et la reprise de leur boulot ! Je finirais sur ces mots d’Allais, bien avant-gardistes pour leur époque :
« Un journal sans papier ! Une revue sans papier ! Un roman sans papier ! Et pourquoi pas ? »