Le Hobbit, de J. R. R. Tolkien (lecture commune de septembre 2017)

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Les lectures communes sont pour moi l’occasion de me plonger enfin dans l’œuvre d’auteurs cultissimes que je n’ai toujours pas découvert. Ce mois-ci, j’ai donc lu Le Hobbit de J. R. R. Tolkien. J’avais ouïe dire que c’était l’idéal pour commencer avec cet écrivain : ce roman est en effet destiné à la jeunesse, il est vivant, assez court en comparaison des gros pavés qui suivent, sans compter que chronologiquement c’est ici que commence l’histoire de l’anneau.

Je vais vous demander d’ignorer les films qui correspondent à ce roman. Pitié. Même si l’adaptation au cinéma reprend pas mal d’éléments de l’intrigue, toutes ressemblances s’arrêtent là. Bilbo Bessac vit tranquillement sa vie de hobbit dans sa maison sous la colline quand il voit cette dernière envahie par une dizaine de nains, invités sans son autorisation par le magicien Gandalf. Bon gré, mal gré, il se voit bien obligé de les accueillir, d’écouter leurs récits et leurs chansons. Il finit alors par comprendre que ces nains vont partir pour un long périple jusqu’à la Montagne solitaire. C’est en effet à l’intérieur de cette montagne que leur immense trésor est caché. C’est le dragon Smaug qui garde farouchement et égoïstement ces richesses qui reviennent de droit aux nains. L’héritier légitime, Thorin Lécudechesne, veut retrouver sa place de Roi sous la Montagne. Et notre Bilbo a été désigné comme le dernier membre de la troupe : il sera le cambrioleur.

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Au fond d’un trou vivait un hobbit. Non pas un trou immonde, sale et humide, rempli de bouts de vers et de moisissures, ni encore un trou sec, dénudé, sablonneux, sans rien pour s’asseoir ni pour se nourir : c’était un trou de hobbit, d’où un certain confort. […] Ce hobbit était un hobbit fort bien nanti, et il s’appelait Bessac. Les Bessac habitaient les environs de la Colline de temps immémorial, et ils étaient vus comme des gens très respectables, non seulement parce que la plupart d’entre eux étaient riches, mais aussi parce qu’ils ne partaient jamais à l’aventure et ne faisaient jamais rien d’inattendu : on savait ce qu’un Bessac dirait de telle ou telle chose sans être obligé de lui poser la question. Cette histoire raconte comment un Bessac se trouva mêlé à une aventure, à faire et à dire des choses tout à fait inattendues. Il a peut-être perdu le respect de ses voisins, mais il a gagné… enfin, vous verrez s’il a gagné quelque chose à la fin du compte.

 

A ma grande surprise, j’ai beaucoup aimé cette histoire. Il s’agit là vraiment d’un roman destiné à la jeunesse et même s’il a été publié il y a soixante-dix ans, ce livre garde tout son intérêt et sa modernité – sans compter qu’il est servi par une très bonne traduction. Le voyage est périlleux, nos héros vont croiser des gnomes, des trolls, des portes magiques. Ils vont découvrir des paysages désertiques, des grottes obscures, des villes étranges. Je me suis beaucoup attachée à cette troupe de personnages, mais je regrette de ne pas mieux les connaître : ils sont en effet quatorze ! Pour la plupart, ils passent inaperçus et j’avoue ne pas avoir compris ce choix. Pourquoi mettre autant de héros ? Le lecteur se perd dans cette multitude !

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Les aventures traversées par les nains et le hobbit sont très divertissantes et originales, on ne s’ennuie pas une minute. J’ai tout de même trouvé que certaines péripéties n’étaient pas… héroïques. J’ai eu de temps en temps du mal à comprendre les choix de l’auteur en terme d’histoire. C’est parfois assez brouillon ou ennuyeux, on ne sait pas quoi en penser, on ne comprend pas où l’auteur veut nous emmener. Concernant l’écriture, elle est très fluide : le vocabulaire est simple, le style direct. Cela nous permet de rentrer directement dans l’univers de Tolkien et de découvrir cette histoire. Je vous invite donc à essayer cette lecture, c’est vraiment l’idéal pour commencer !

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J. R. R. Tolkien, Le Hobbit, traduit de l’anglais par Daniel Lauzon, aux éditions Le Livre de Poche (33837), 6€.

Raison et Sentiments, de Jane Austen (lecture commune d’août 2017)

9782264023810Au début du mois, je me disais « Pfff, la lecture commune d‘août, ça me tente pas… » En effet, au premier abord, lire un bouquin anglais d’une autre époque, ça ne m’emballait pas vraiment. Et puis je me suis souvenue que j’avais littéralement adoré mes autres lectures de Jane Austen. Et la magie est réapparue, je me suis plongée corps et âme dans Raison et Sentiments et quel bonheur !

Le roman débute par la mort de M. Dashwood. Il laisse sa femme et ses trois filles aux bons soins de son fils, issu d’un précédent mariage. C’est sans compter sur la femme de l’aîné, qui ne veut pas voir sa maison et sa fortune dans les mains des sœurs une seule seconde de plus. Elles s’installent alors dans un modeste cottage en pleine campagne anglaise. Elinor, la plus grande, est la raison : elle sait mettre ses émotions de côté et jauger les situations avec beaucoup de tact et de neutralité. Elle fait la part des choses et ne désire que le bonheur de sa famille. Sa petite sœur Marianne ressemble plus à sa mère : elle vit ses sentiments profondément, sincèrement et sans faux-semblants, quitte à paraître un peu brusque ou audacieuse en société. Elle joue du piano et chante, se passionne pour mille choses, aime immodérément. Les deux sœurs pensent toutes deux à se marier prochainement. Mais avec qui ? L’emménagement dans le cottage leur permettra de faire la connaissance d’une nouvelle société propice aux rencontres. Le colonel Brandon, loyal mais peu chaleureux, le séduisant Willoughby, les deux pétillantes sœurs Steele, la bavarde Mrs Jennings, etc. Mais c’est aussi l’occasion, étrangement, de recroiser des membres de la famille : Edward, le frère de la nouvelle Mrs Dashwood, et même le grand-frère et la mère de celui-ci.

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Les sentiments se déploient, se devinent, se cachent, se rompent et on se prend d’une affection débordante pour les deux sœurs qui, bien qu’elle soient foncièrement différentes, sont toutes deux profondément gentilles et généreuses. Les romances Harlequins n’ont qu’à bien se tenir ! Jane Austen arrive à nous passionner par de simples histoires de cœur, rendez-vous compte ! On vibre tellement fort aux côtés d’Elinor et de Marianne. On suit avec ferveur le moindre échange, le moindre geste.

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Il faut dire que c’est un roman d’époque : l’étiquette est de rigueur, le mariage sert à entretenir son image et à s’enrichir. L’amour peut y avoir sa place, mais la froide raison également. Des projets imminents ne se réalisent plus car la réputation ou l’épargne ne suit pas. C’est le couperet de la société, une épée de Damoclès au-dessus de chaque couple. Jane Austen a su retranscrire les manières de faire, de vivre d’une société passionnante, c’est aussi cela qui explique son succès. L’écriture est soignée mais à la portée de n’importe quel lecteur. Elle change de ce qu’on peut lire aujourd’hui bien sûr, mais une petite dizaine de pages et on s’y fait très très vite, d’autant plus que les traductions françaises sont très bien. On peut reprocher à l’auteur quelques raccourcis narratifs, mais cela nous permet d’avancer plus vite dans l’action, vers ce que l’on veut absolument savoir donc on lui pardonne aisément.

Lire Jane Austen, c’est vraiment plonger dans un autre monde et vivre aux côtés de personnalités incroyables. Raison et Sentiments n’est peut-être pas à mes yeux ma meilleure lecture de l’auteure mais il reste indéniablement un chef-d’œuvre que je vous invite à découvrir !

Et pour aller plus loin, je vous conseille l’article de Virginy sur Persuasion de Jane Austen.

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Jane Austen, Raison et Sentiments, traduction par Jean Privat, aux éditions 10/18, 6€60.

Une soirée littéraire, d’Ivan Gontcharov

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Cela faisait une éternité que je n’avais pas lu un roman russe. C’est une littérature que j’apprécie, mais à petite dose, sinon je fais vite une overdose justement ! Il faut dire que j’ai à chaque fois l’impression d’atterrir sur une autre planète, d’être catapultée dans une société à laquelle je ne comprends pas tout et, surtout, dont je ne fais pas partie. Et avec Une soirée littéraire d’Ivan Gontcharov, ça n’a pas raté.

Des invités sont réunis chez Ouranov : gens du monde du livre, connaissances, prétendantes, militaires. Une petite vingtaine, pour écouter une lecture. Pour la plupart, c’est une première. L’auteur n’est pas connu. Il s’agit à du premier roman sur lequel il travaille – histoires d’amour et de jalousies dans les hautes castes, à la russe. Lecture longue, qui en passionne certains, qui en ennuie d’autres. Petits discussions, coup d’œil, attitudes, pensées. On revient sur chaque personnage, on le présente. Car une fois la lecture passée, leur hôte les convie à un repas : le moment idéal pour reparler du roman lu, mais pas seulement. Littérature, journalisme, rang social, etc. De nombreux autres sujets de conversations vont émailler la nuit. C’est aussi l’occasion pour beaucoup de se rencontrer, de faire connaissance autour de la table. Des personnalités s’affirment, se dessinent.

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Un petit récit qu’on ne trouverait pas chez nos auteurs français. J’ai l’impression que seuls les Russes savent faire ce genre de récit : ambiance désuète d’une aristocratie du siècle passé, littérature classique qui s’oppose aux points de vue moderne, et galerie de personnages. Des personnages qu’on rencontre par touches, et que je n’arrêtais pas de confondre. On n’est pas assez proche d’eux, les dialogues constants nous embrouillent : je me suis perdue à plusieurs reprises, ce qui ne m’a pas aidé à dessiner la personnalité de chacun ! Toutefois, je me suis laissé bercée sans trop chercher à avoir le fin mot de l’histoire, et les pages défilent sans trop de difficulté. Mais je n’irai pas jusqu’à dire que cette lecture fut excellente. C’est un peu trop impersonnel, et surtout assez vain : je n’ai pas vraiment trouvé qu’il y avait là une intrigue, un but, un fil conducteur solide. On suit une nuit à la russe, en passant. Et je n’attendais rien de plus de ce petit livre ceci dit et il m’a diverti le temps d’une journée.

A vous de voir si vous voulez tenter l’aventure !

Ivan Gontcharov, Une soirée littéraire, traduit par Bernard Kreise, aux éditions de L’Herne, 16€.

Orgueil et Préjugés, de Jane Austen

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Les lectures communes 2016 continuent ! Et ce mois-ci, j’ai lu avec L’Aléthiomètre un fameux classique anglais : Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Je l’avais lu au lycée, et je me faisais une joie de retrouver Darcy et Lizzie. Et ce n’est une surprise pour personne : ce roman est tellement génial que je n’ai pu qu’aimer ma lecture.

Si vous ne savez pas de quoi cela parle, suivez le guide. Elizabeth Bennet est la deuxième fille d’une famille de cinq enfants. Sa mère n’a qu’un désir, voir toutes ses filles mariées. Alors quand un gentleman de Londres s’installe dans la demeure voisine, c’est l’effervescence. M. Bingley fait de l’effet à tout le monde : il est agréable, bel homme, chaleureux. On ne dit par contre pas du tout la même chose de son ami Darcy : trop hautain, trop silencieux, vraiment antipathique. Très vite, Elizabeth se détourne des deux hommes : le premier est plutôt intéressé par sa grande sœur, et le second n’est vraiment pas un choix agréable selon elle. Elle s’amourache alors d’un officier de la ville voisine : en effet, une garnison y est stationnée. À l’occasion d’un bal, elle fait donc la connaissance du jeune Wickham qui lui donne la meilleure des impressions. Mais dans un monde de convention et de ragots, il ne faut pas toujours se fier à ses premières impressions, surtout quand l’attirance et l’amour entrent en jeu.

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Premières impressions, c’était d’ailleurs le premier titre choisi par l’auteure pour son roman. Mais on ne peut pas dire qu’Orgueil et Préjugés soit faux : Darcy a trop d’orgueil, Elizabeth trop de préjugés. Et cela, on s’en rend compte de plus en plus au fur et à mesure de notre lecture. J’ai adoré découvrir les personnages au fil des pages : les secrets ne sont plus secrets, les manigances sont mises au jour et les personnalités se dévoilent. Il est vrai que l’histoire, sans être banale, n’est pas très étonnante. Mais je vous prierai de ne pas résumer ce livre à une romance, il est beaucoup mieux que ça. C’est une histoire intelligente, rusée. Bref, c’est un classique anglais.

orgueil-et-prejuges-83375Quand je pense que Jane Austen a écrit ce roman alors qu’elle n’avait qu’une vingtaine d’années, je suis stupéfaite. Son écriture est virtuose, elle se lit encore aujourd’hui avec facilité et surtout un plaisir jouissif. En effet, l’humour et l’ironie sont légions dans ces pages et lire les chassés-croisés de lettres ou les dialogues est tout simplement addictif. Concernant l’intrigue, elle avance à un bon rythme : on ne s’ennuie pas, de nouveaux éléments viennent régulièrement remettre l’action sur le tapis. Cela s’accompagne d’une évolution des personnages très intéressante et surtout très juste. En effet, l’auteure a beaucoup travaillé ses personnages, leur profondeur psychologique et leurs relations. C’est normal, me direz-vous, puisque ce roman repose sur eux. Mais tout de même ! Pondre une Elizabeth Bennet, il faut le faire. C’est une jeune femme intelligente, intéressante, forte. Elle se conforme aux mœurs de son temps mais garde tout de même une forme d’indépendance qu’on admire : son répondant, ses traits d’esprits… Ah, je l’adore !

pride-and-prejudice-2Ce roman est une œuvre à lire, et c’est une porte d’entrée vraiment idéale pour découvrir les classiques anglo-saxons. Il est captivant, éblouissant, poignant, drôle et la plume de Jane Austen est d’une justesse absolument brillante. Un gros coup de cœur pour cette histoire que je redécouvre et je vous invite grandement à vous plonger dans cette lecture.

Jane Austen, Orgueil et Préjugés, traduction de l’anglais par Pierre Goubert, aux éditions folio classique, 9€20.

L’attrape-coeurs, de J.D. Salinger

51fv05tvm3l-_L’attrape-coeurs, quel livre énigmatique. Personnellement, je ne sais rien de l’auteur, J. D. Salinger, je ne me suis jamais renseignée. Je sais juste que c’est un livre qui fut important pour plusieurs personnes : lu à l’adolescence, il résonne encore dans leur vie d’adulte. Sur la sobre mais belle édition Pocket, il n’y a même pas de quatrième de couverture. Ayant réussi à ne jamais me faire spoiler, je suis partie complètement à la découverte en achetant cet ouvrage, je ne savais pas du tout où je mettais mes pieds.

L’histoire est difficile à raconter, dans un sens il n’y en a pas vraiment, mais c’est un roman fabuleux. Le héros, le narrateur est un jeune garçon qui s’est encore fait viré de son école. Encore une fois, il sait qu’il va décevoir ses parents, il aura sûrement le droit à l’école militaire maintenant.

Dans trois jours, il devra quitter pour toujours ces murs. Dire au revoir à ses camarades, à ce garçon étrange avec qui il partageait sa chambre. Mais il décide de tout quitter maintenant, il lui reste trois jours de répit avant que la nouvelle se sache dans sa famille, il veut en profiter. Remercier ce professeur qui l’a aidé, retrouver quelques filles, aller en ville, boire un verre, acheter un CD pour sa petite sœur adorée. Bref, passer du bon temps, malgré son coup de blues et sa lassitude, sa démotivation et son rire gris.

L’histoire en elle-même ne paie pas de mine, surtout racontée en ces termes, mais elle représente une tranche de vie importante pour ce jeune homme, comme un point de bascule ténu. Il a une vision du monde et surtout des personnes très particulières, forgée par l’observation, la critique et un franc parler qui surprend à la lecture. En effet, le narrateur, c’est lui, et il ne fait pas d’effort de langage particulier pour s’adresser à nous. C’est un style assez oral ou peu travaillé, c’est selon comme on souhaite le voir, avec ses tics de parole, ses raccourcis linguistiques. Sur ce point-là, je trouve la traduction française assez désastreuse, mais si on en fait abstraction, on découvre vite que ce style est tout à fait naturel et représente parfaitement ce personnage si brumeux, si adolescent, qui entre avec difficulté dans la vie d’adulte responsable.

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J. D. Salinger

Un genre de roman d’apprentissage, même si le héros n’apprend que peu de choses, si ce n’est mieux se connaître. C’est un petit livre dont la lecture se fait assez facilement et rapidement si on s’y laisse plonger. Je suis contente d’avoir découvert ce livre dont on m’a tant parlé. Il donne à réfléchir et à sourire, il nous emmène dans une fugue à la recherche de réponse, pour fuir une certaine réalité.

J. D. Salinger, L’attrape-coeurs, Pocket (4230), traduction par Annie Saumont, 5€30.

Z, le roman de Zelda, de Therese Anne Fowler

Je reviens vers vous après pas mal de temps. Les vacances sont passées par là, et notamment une jolie semaine à Venise de laquelle je suis revenue avec plein de couleurs dans les yeux et les pieds en compote (je ne peux plus voir un escalier en peinture à présent…). Durant mon séjour italien, j’ai emmené quelques lectures, au grand étonnement de ma copine de séjour qui s’étonnait à n’en plus finir de mon rythme de lecture (quand moi j’enviais son rythme d’écriture proprement ahurissant). J’ai notamment fini la lecture d’un roman qui me regardait avec des yeux doux depuis ma bibliothèque : Z, le roman de Zelda de Therese Anne Fowler.

Je ne fais pas vraiment les choses dans l’ordre. En effet, le couple de F. Scott Fitzgerald m’a toujours un peu fasciné, et c’est pourquoi sur ma pile à lire trônent Gatsby le Magnifique du mari et Accordez-moi cette valse de l’épouse, plus un ou deux autres romans des « années folles » et une biographie. Mais au lieu d’être logique, j’ai préféré plonger dans un roman de fiction retraçant la vie de la célèbre femme de Francis Scott Fitzgerald directement. Une bien belle découverte !

Dans l’Alabama de 1918, la jeune et fougueuse Zelda rencontre un soldat en garnison qui rêve de gloire littéraire et d’épanouissement dans l’écriture mais aussi d’argent facile, de vie de fêtes. Elle, exubérante, veut sortir de ce Sud conservateur, sclérosé. Ils vont se marier et il va devenir célèbre. Il s’agit de Francis Scott Fitzgerald. Les premières années ne sont qu’une succession de fêtes mais lentement et inexorablement, les bonheurs éphémères des soirées mondaines laissent place à la souffrance, aux non-dits, aux désillusions quand bien même l’amour et la romance veulent rester. A Paris, à travers les États-Unis ou près de la Méditerranée, le couple Fitzgerald oscille entre tragédie et passion sincère. Happé par la folie des années de l’entre-deux guerres et la nécessité d’écrire, pas si facile de garder la tête hors de l’eau.

Therese Anne Fowler n’a pas essayé d’en faire trop, et ça fait du bien. Elle a trouvé le juste équilibre entre ces vies uniques et bouleversantes et le ton du roman. L’angle de vue par Zelda et non Scott est rafraîchissant, très judicieux. On s’intéresse rapidement à cette femme magnifique, avec ses rêves, ses espoirs qui se frottent au monde du réel avec plus ou moins de succès. J’ai adoré ce personnage « entier », franc et je trouve que l’auteure a su capter ce qu’il y avait de plus beau en Zelda (même si c’est fictionnel). Elle ne prend pas partie dans le grand débat « est-ce que Zelda qui a conduit Scott à sa perte ou l’inverse ? » Car en effet, leurs vies sont sublimes et tragiques. On a peine à croire qu’elles ont réellement existé ailleurs que dans des livres et des films. La description des lieux, des décors, de l’ambiance est très bien réalisée : on s’y croit, on est dans ce monde qui a existé des décennies avant nous, on le touche du doigt.

Ce roman est captivant, de par son thème, ses personnages emblématiques mais aussi pour le rythme de la narration et le ton employé. Résumer deux vies en quelques centaines de pages n’est pas exercice facile, mais Therese Anne Fowler s’en sort avec brio : les moments racontés sont très bien choisis, agencés, la construction donnent de l’allant à ce texte et on tourne les pages sans s’en rendre compte, trop pris dans notre découverte de ces destins hors du commun.

Ce livre est à la fois divertissant et intelligent. J’ai vraiment été touché par les personnages, même si le traitement d’Hemingway n’est pas celui que j’attendais. J’ai adoré côtoyé Cocteau, Pound et autres stars de l’époque, j’ai adoré voyager dans ces manoirs, ces demeures, ces maisons coloniales, et j’ai été émue de voir la vie intime de ces deux êtres qui s’aimaient d’un amour un peu fou.

Une vraie réussite, une fiction rondement menée, je vous la conseille !

Therese Anne Fowler, Z, le roman de Zelda, traduction de l’anglais par Laure Joanin, aux éditions Pocket (15656), 8€40.

Rosa candida, d’Audur Ava Olafsdottir

J’ai l’impression que ça fait une éternité que je ne vous ai pas présenté un livre non francophone. En même temps, quand on travaille pour un prix littéraire francophone, on tombe facilement dans la marmite. Donc pour le retour de la littérature étrangère sur le blog, j’ai décidé de vous parler d’un roman écrit originalement en islandais (rien que ça). Ce livre, vous le connaissez sûrement ou, du moins, en avez-vous entendu parler : il s’agit de Rosa candida d’Audur Ava Olafsdottir. (On applaudit la traductrice Catherine Eyjolfsson!).

Arnljotur a été le dernier à parler à sa mère : il ne le savait pas mais celle-ci lui donnait ses derniers conseils au téléphone alors qu’elle perdait la vie dans la carcasse de sa voiture accidentée. C’est dans ces champs de lave qu’il s’est décidé un nouvel avenir : il quitte ce père aimant et pudique, ce frère jumeau autiste, la serre et le jardin qui ont lié fils et mère pendant des années. Il va sur le continent pour s’occuper d’une roseraie millénaire et perdue, dans une ancienne abbaye, emmenant avec lui cette fleur à huit pétales unique : la Rosa candida. Il pense partir pour donner un sens ou plutôt une direction à sa vie, allier son besoin de solitude et sa passion pour les roses. Mais c’est dans ce périple et cette vie nouvelle que son passé va le rattraper. Une autre famille, celle formée par Anna, la fille d’un nuit, et par l’enfant qu’ils ont eu ensemble. Arnljotur va découvrir le vrai sens du mot parent, dans ce lieu oublié du reste du monde.

J’ai eu un vrai coup de cœur pour ce petit roman, et je comprends aujourd’hui les raisons de son succès. Il faut dire que l’écriture est vraiment différente, j’ai eu l’impression qu’elle venait d’un autre monde, plus froid, plus vide, plus beau aussi. L’auteure nous emmène dans son univers avec douceur et on s’attache immédiatement aux personnages : comme dans la vraie vie, on les découvre petit à petit dans toute leur profondeur et ce processus est très touchant. Tous les personnages secondaires sont là pour une bonne raison et sont dessinés avec minutie, sans excès. Il y a dans ce livre un parfait équilibre, voilà c’est le mot ! Entre l’écriture unique d’Audur Ava Olafsdottir, la magnifique histoire faite de sourire d’enfant, de rose sans épines et d’hésitation d’adulte. C’est un vrai régal pour le cœur, une œuvre à la fois douce, sincère et forte en émotion, un mélange savant de la rusticité des paysages islandais et la caresse de la senteur des fleurs.

L’auteure sait taper juste : ces personnages sont d’une finesse psychologique sans commune mesure, ses paysages gardent juste ce qu’il faut de mystère, sa narration se lit sans effort. Le héros est à la fois candide, tendre et criant de vérité. Une beauté.

Je pourrais encore écrire plusieurs pages d’éloges pour ce livre qui rentre tout de suite dans mon panthéon personnel (très rare privilège!). J’ai été touchée, j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai eu peur, je me suis sentie bien. Un vrai bonheur en cellulose. Je ne peux que vous conseiller de découvrir au plus vite cet excellent roman.

Audur Ava Olafsdottir, Rosa candida, traduit par Catherine Eyjolfsson, aux éditions Zulma, 20€.

Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud

Dans le cadre de mon travail, je suis en charge de la gestion du comité de lecture français pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie, organisé par l’Office international de la Francophonie. Dans ce contexte, je lis donc pas mal de romans québécois, haïtiens, béninois, etc. C’est donc tout naturellement que je viens vous parler du livre vainqueur du dernier Prix des Cinq Continents, décerné à Dakar en 2014 : il s’agit de Meursault, contre-enquête écrit par l’Algérien Kamel Daoud et publié aux éditions barzakh.

On rencontre ici une œuvre atypique, une œuvre qui réclame justice à un de nos auteurs français les plus chers : Albert Camus. En effet, dans L’étranger, le héros Meursault tue un homme sur une plage brûlante. Cet homme, c’est « l’Arabe », même pas « l’Algérien », ou « cet homme qui me fait face », ni son nom, ni son prénom. Il meurt dans un anonymat total et terrible. Le narrateur de cette histoire est son frère, et il n’en peut plus de chercher, de devoir prouver, de devoir persuader que oui, « l’Arabe », celui dont on n’a retrouvé ni l’identité, ni le corps, c’est bien Moussa, son frère, son frère tué par un blanc. Par moment, Meursault et Camus se confondent. Celui qui a écrit L’étranger est celui qui a vécu cette histoire, il s’agirait de la même personne. Dans ce monde mis en place par Kamel Daoud, les frontières sont floues entre vérité et irréalité. La seule chose que l’on sait, qui est tangible, c’est cette foi qu’a le héros : son frère est mort, et c’est Meursault le meurtrier.

Au fil des pages, on se demande si le spectre, le fantôme dans cette histoire, ce ne serait pas plutôt le narrateur, et non pas son frère disparu. Notre héros en veut à tout le monde : à sa mère, à son frère, à son pays, à la France, à Meursault, à l’auteur de L’étranger, à la police, aux autres « Arabes », à lui-même. Il veut juste reconnaissance et justice. Il veut pouvoir faire son deuil et avancer.

J’ignore encore si j’ai apprécié ou non ce personnage : certains aspects en lui me font penser à Meursault, et pour ce dernier aussi, mon opinion balançait. La plume de Kamel Daoud arrive à nous perdre, pour que nos propres sentiments se brouillent à la lecture d’un simple roman. On se surprend à en vouloir à Camus/Meursault. On se remémore ce livre qui est là l’origine de ce regret et de cette amertume. Et on se dit que la prochaine fois, au lieu de faire une énième généralité, on appellera les gens par leur nom. Juste par souci de clarté, mais aussi pour ne pas tomber soi-même dans l’oubli.

Ce roman n’est pas très épais mais il renferme beaucoup de choses, et notamment un talent beau et sensible. N’hésitez pas à aller le découvrir, surtout si vous avez en tête L’étranger de Camus.

Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, éditions Barzakh.

A moi seul bien des personnages, de John Irving

Je ne suis pas vraiment régulière avec la publication des billets, alors que j’achève mes lectures à un bon rythme, autant dire que j’ai plusieurs chroniques en retard à rédiger (pour l’instant, 3), donc je profite d’un regain de motivation pour écrire tout de suite, avant de retomber dans la procrastination hebdomadaire du week-end.

Il y a quelques jours, j’ai fini ma très très longue lecture d’un roman tout récent de John Irving (oui, oui, celui de Garp) : A moi seul bien des personnages. En lisant la quatrième de couverture de ce livre de presque 600 pages, je m’imaginais découvrir l’histoire d’un garçon qui devient homme en même temps qu’écrivain. Puis en commençant la lecture, j’ai pensé lire l’aventure d’un adolescent qui a ses premiers émois tout en étant indétachable des troupes de théâtre de sa petite ville (oui, ce n’est pas très claire comme description). D’où le titre. Mais ce roman se révèle beaucoup plus vaste, plus intime que cela. En même temps, en 600 pages, il peut se le permettre.

Le héros s’appelle Billy, il a soixante-quinze ans, et nous raconte la vie qu’il a eu, entre l’ardesse de son adolescence et ses réflexions d’adulte. On est donc immergé dans sa vie de jeune garçon pensionnaire d’un lycée non mixte. Et très vite, on découvre que Billy n’a pas l’amour conventionnel qu’on attendrait d’un gamin américain d’une ville de province. En effet, il a le béguin pour son beau-père ou encore pour un camarade de classe, lutteur exceptionnel. Mais il est aussi très intrigué par la petit poitrine de la bibliothécaire municipale – beaucoup plus âgée que lui –, et fait semblant de s’intéresser amoureusement à sa meilleure amie. Bref, Billy se cache, révèle à bien peu de gens ses véritables sentiments, se dissimule derrière des personnages, des masques.

Vous l’aurez compris, ce livre parle de sexualité, notamment de celle qui n’est pas « normale », du moins pour l’entourage de ce jeune garçon. Mais il n’y a pas que le héros qui possède des penchants que l’on acceptait mal en ce lieu et cette époque. Sa famille renferme quelques secrets, idem pour ses connaissances ou même ses amis. Billy va grandir, devenir un adulte et écrivain complet. Il va comprendre que fuir n’est pas une solution. Il suffit juste d’être discret pour ne pas gêner les autres, sans pour autant nier ce que l’on est ou ce que l’on veut être. Il se rend compte qu’autour de lui nombreux sont ceux qui portent des masques.

Bref, je me mélange un peu les pinceaux, il est difficile de parler de ce long roman sans s’y perdre tellement il est vaste et profond. La seule chose que je peux vous dire sans me tromper, c’est à quel point cette lecture est atypique. Elle demande beaucoup d’investissement de la part du lecteur, mais qu’on est ravi d’offrir à la plume de l’auteur. En effet, cette histoire n’est pas résumable, il faut la lire et la vivre. C’est une vie de questionnement, de doute, d’attente, de découverte(s), le genre de vie qu’on croise rarement et qu’on expérimente encore moins. C’est riche d’enseignement, d’humilité, d’acceptation envers toutes les personnes de ce monde, quelque soit leur genre, leur sexualité. Il faut se laisser emporter par ce style qui prend son temps, qui décrit beaucoup mais de façon bien choisie.

Encore une fois, John Irving est l’auteur d’une œuvre vraiment à part, en dehors de la littérature de fiction traditionnelle. Un roman à découvrir en prenant son temps.

John Irving, A moi seul bien des personnages, traduction de l’anglais par Josée Kamoun et Olivier Grenot, Points (P3264), 8€50.

En ce lieu enchanté, de Rene Denfeld

Aujourd’hui, je vous emmène à la découverte d’un livre bien étrange, à la fois terriblement réaliste et poétiquement ailleurs. Il s’agit de En ce lieu enchanté de Rene Denfeld.

L’auteure américaine nous emmène dans l’enceinte d’une prison, et plus précisément du couloir de la mort, ce qui va nous conduire à rencontrer toute une fresque de personnages : le condamné un peu fou qui a de douces hallucinations et une passion pour la lecture – notre narrateur, la gentille dame qui travaille avec les avocats pour en arracher certains à la mort en menant une enquête approfondie où elle s’investit toujours entièrement, le directeur de prison qui essaie de faire son boulot malgré une vie privée difficile, le gardien de prison qui veut prendre du galon et pour cela enfreint les règles, le prisonnier qui veut mourir et a presque hâte que sa délivrance arrive, le prêtre qui essaie de racheter là ses ultimes fautes, le gamin qui vient d’échouer derrière les barreaux pour son plus grand malheur. Tous ces personnages sont dépeints avec attention, ils interagissent mais c’est leur individualité qui compte le plus. Toutefois, on sent que l’auteure veut insuffler un peu d’espoir au fur et à mesure des pages pour laisser entrevoir des relations à la place de simples solitudes qui se côtoient.

Il est très difficile de mieux résumer ce roman. L’intrigue (mais qui n’est qu’un fil conducteur pour mieux explorer les lieux et les personnages) est basée sur l’enquête que la gentille dame mène pour sauver le prisonnier condamné à mort qui, lui, veut mourir. On rencontre dans ce livre une réalité douloureuse, extrême, violente, dangereuse faite de crimes affreux, de mensonge, de corruption, de blessure, de domination. Mais il y a aussi une poésie. Une poésie dans la mort, dans la solitude, dans le ciel gris, dans l’enfermement, dans le passé douloureux. Cela est symbolisé par le personnage qu’on pourrait dire principal, puisqu’il est le seul à parler à la première personne pendant la narration : il s’agit d’un prisonnier qui ne parle plus à personne, est spectateur de la prison, il ne fait que lire, mais surtout il perçoit des chevaux d’or et d’autres créatures fabuleuses dans les murs, les sous-sols et les couloirs de la prison.

Le lendemain de l’exécution de Striker, la lampe du plafond vacille pour m’annoncer la nouvelle : les chevaux d’or vont courir. Il me semble toujours courir peu après une exécution. Je vois leurs museaux mouchetés d’or et leur pelage de bronze, leurs muscles bandés et leurs ardents yeux noirs. Des yeux aussi noirs que du jais, ou que du bronze coulé dans du métal – des yeux pareils à ceux de la dame. Ou de York. Des yeux noirs qui ne voient rien d’autre dans leur course que l’ivresse joyeuse du mouvement.

J’ai eu un peu de mal dans ma lecture au début pour m’y retrouver. Un changement de paragraphe signifie une changement de point de vue, de personnage. J’ai mis du temps à comprendre qui était ce « je », mais jusqu’à la dernière page, je n’avais pas vraiment deviné qui c’était (ce revirement m’a fait un petit choc!). Mais on se fait vite à cette narration à la fois décousue dans sa façon de passer d’un élément à l’autre, mais construite dans sa progression. En ce lieu enchanté est vraiment un livre à part, un peu un inclassable qui montre la beauté dans l’horreur, les paillettes d’or dans le gris du monde. Un livre à découvrir, sans aucun doute.

Rene Denfeld, En ce lieu enchanté, Fleuve éditions, 18€50.